Christophe Lassuyt et Etienne Tatur exultent. Nous sommes le 25 octobre 2016, le jour de l’anniversaire de Christophe. Ils viennent tout juste de recevoir un email leur annonçant qu’ils sont retenus pour passer les oraux du Y Combinator (YC), à San Francisco. Leur startup Moneytis a candidaté, comme 6000 autres, au meilleur accélérateur du monde dans l’espoir de rejoindre les 115 startups de la prochaine session. Quelques jours plus tard, ils sont dans l’avion, « 35H de vol aller-retour pour seulement 10 minutes d’entrevue, c’est certain qu’on souhaite transformer l’essai ! » nous confie Christophe. Arrivés à San Francisco, pas le temps de faire du tourisme. Christophe et Étienne répètent inlassablement le pitch qu’ils dérouleront le lendemain devant les pontes de la Valley. À peine sortis de l’entrevue, ils sont reconvoqués pour rencontrer une seconde équipe de sélection du YC : « Ils ont joué le bad cop et le good cop, comme dans les séries américaines ! Une heure après, on recevait un appel pour nous annoncer que l’on était retenu pour la prochaine promotion. C’était dingue ! On était tellement excité d’annoncer à notre équipe qu’on allait tous déménager à San Francisco en janvier !». Sept mois se sont maintenant écoulés et Moneytis est installé depuis peu à Berlin. L’occasion de rencontrer Christophe Lassuyt, pour qu’il nous raconte cette expérience et l’après YC. Alors, le YC mérite-t-il vraiment son titre de meilleur accélérateur du monde ?
Article paru dans Wydden Magazine, le magazine papier de 1001startups
Peux-tu nous présenter Moneytis ?
Christophe : Moneytis est le booking des transferts d’argent internationaux. On démocratise et rend plus transparents les transferts d’argent en comparant les taux en temps réel. Un utilisateur qui souhaite envoyer de l’argent à l’étranger se connecte, recherche les options vers le pays de son choix, pour un certain montant, et on lui donne les meilleures offres qu’il peut utiliser sur notre site. On se rémunère en prenant un faible pourcentage sur les transactions que nous apportons à nos partenaires. Moneytis est aussi une startup nomade. Dans le web, il est possible de travailler et voyager en même temps. Le voyage est une passion pour Étienne et moi, et nous avons décidé de bâtir toute la culture de l’entreprise en conséquence. Notre équipe change de pays en moyenne tous les six mois. Avant San Francisco, on a vécu à Amsterdam et à Lisbonne.
Vous avez débarqué dans la Silicon Valley en janvier 2017, comment s’est passée l’installation ?
On a eu la réponse positive du YC le 7 novembre. Le programme commençait début janvier, ça nous laissait peu de temps pour organiser notre installation. En amont de notre arrivée, il y avait pas mal de démarches à faire. L’une des conditions pour intégrer le YC est de créer une structure juridique aux États-unis. Entre la paperasse et l’organisation du déménagement, c’était la course, d’autant plus que se loger dans la Valley n’est pas facile ! Mais finalement, on a trouvé deux petites maisons à Palo Alto, où l’on vit et travaille tous ensemble.
Justement, comment est-ce qu’on finance l’installation lorsqu’on est une jeune startup ?
Heureusement, le YC nous aide ! Déjà, il faut savoir que tous les frais pour passer les oraux sont pris en charge, peu importe que l’on soit reçu ou pas au programme. C’est génial parce que cela permet à des startups du monde entier de candidater, sans discrimination financière. Ensuite, lorsque l’on est admis, le YC investit 120 000 $ en contrepartie de 7% du capital de la startup. Une somme qui permet notamment de financer le transfert de la société aux US et de supporter le coût de la vie pour l’équipe, le temps du programme. C’est aux startups de décider si elles amènent l’équipe complète ou pas. Il y a une startup indienne par exemple qui a soixante-dix salariés, mais seul le fondateur est ici pour réduire au maximum les dépenses. Voyager et travailler font partie de notre ADN, donc évidemment on a emménagé avec toute l’équipe ! On vient seulement de récupérer les fonds du YC, dans la mesure où c’est complexe de créer une structure additionnelle aux US lorsque l’on a déjà des investisseurs. On doit les transférer individuellement, avec à chaque fois un contrat. Sur nos vingt et un investisseurs, vingt nous ont retourné les papiers en trois jours. Le dernier, la banque ING, a des processus d’engagement un peu plus longs. Pour eux, signer un contrat en trois mois c’est un record…on n’est pas sur la même échelle de temps ! Mais c’est fait maintenant, heureusement on avait encore de la trésorerie de notre dernière levée de fonds pour pouvoir avancer les frais.
Un papi en vélo nous a demandé : Quels sont les effets de la blockchain sur les transferts d’argent ? Est-ce que vous croyez plutôt au développement de l’encryption publique ou privée ? on s’est cru dans une vidéo gag.
Alors le YC, entre ce que l’on s’imagine et la réalité, quelle différence ?
En fait, on avait déjà deux idées différentes ; avant l’interview de sélection et après. Avant, le YC était une sorte de fantasme où l’on s’imaginait passer nos journées avec d’autres startups, boire des bières dans le canapé de Sam Altran avec Brian Chesky (Sam Altran est le directeur du YC et Brian Chesky l’un des fondateurs de Airbnb, passé par le YC, ndlr). On avait déjà fait deux accélérateurs, celui d’ING à Amsterdam et Beta-i à Lisbonne, où l’on était des petites promotions de dix-quinze boîtes maxi. Quand on est arrivé ici pour l’interview, on a compris que l’on faisait fausse route. Il y avait près de 550 startups aux oraux et plus de cent allaient être intégrées à la nouvelle promotion. Le fantasme a totalement disparu (rires) ! On passe de l’idée d’un accompagnement très personnel à une sorte d’usine à startups, mais qui dispose des méthodes les plus efficaces au monde !
Donc ça vaut son titre de meilleur accélérateur au monde ?
Oui ! Et on l’a compris avant même d’arriver ici. Après notre interview, quand ils nous ont annoncé qu’on était accepté au programme, on a eu un premier video call. Pendant une heure, ils nous ont « débriefés » et fait un coaching psychologique assez dingue. Ils nous ont mis une pression immense tout de suite. Du coup, on a compris que le YC c’était avant tout un programme qui te challenge et te met dans des conditions psychologiques très intenses. Chaque semaine, on a une séance de groupe. Les cent seize startups du YC sont réparties en 4 groupes, et chaque semaine, on retrouve une dizaine de startups du groupe- toujours différentes- pour faire le point sur les objectifs, les chiffres, les avancées… Tu es face aux meilleurs entrepreneurs, experts, dont l’objectif est de te mettre une pression très forte pour avancer, en plus de te conseiller. Chaque semaine, tu dois justifier ta croissance. Pourquoi tu n’as fait que +3% alors que l’on veut que tu fasses +10% ? Nous, par exemple, la semaine dernière on a fait +40%, ils étaient hyper contents, mais on sait que maintenant c’est leur nouveau référentiel. Donc si la semaine prochaine on fait +10% il faudra expliquer pourquoi ! Pendant ces séances, les feedbacks des partners et des autres membres du groupe te permettent de te confronter, te challenger et t’apportent des réponses. Les difficultés auxquelles sont confrontées les autres startups te permettent aussi de te poser des questions auxquelles tu n’aurais pas pensé ou qui se seraient posées à toi plus tard. Ensuite, on dispose d’une sorte de catalogue d’experts et entrepreneurs incroyables, que tu peux solliciter à la demande pour des office hours. Tu peux les contacter pour des questions précises ou pour leur expertise sur un marché, une techno, etc. Tu peux en solliciter autant que tu veux et la mise en relation est très facilitée via le YC. Mais si tu fais trop d’office hours c’est trop dense car tu reçois un nombre d’informations et de conseils qui dépassent toujours tes attentes. C’est impressionnant la valeur qu’ils peuvent apporter sur seulement trente minutes. Cette semaine, par exemple, on est allé discuter avec le responsable growth et product de chez Airbnb. Du coup, entre les séances de groupe une fois par semaine et les office hours, c’est très dense, et tu passes ton temps à réfléchir à ta boîte, à tes objectifs, ta stratégie de croissance…
Les conseils dépassent toujours tes attentes. Cette semaine, on est allé voir le responsable growth et product de chez Airbnb.
Par ailleurs, la raison pour laquelle le YC restera toujours le meilleur accélérateur au monde selon moi, et ce peu importe la qualité des conseils, c’est la facilité d’accès aux investisseurs. À la fin du programme, il y a un demo day où chaque startup « pitche » une dizaine de minutes devant cinq cents des plus gros investisseurs au monde. En deux semaines, tu peux lever plusieurs centaines de milliers de dollars. C’est un peu le rêve des entrepreneurs qui est réalisé : le YC, c’est un peu le Tinder entre les entrepreneurs et les investisseurs !
Avec cent seize startups dans la promotion, ce n’était pas un peu la compétition ?
Non, il n’y a aucune compétition malsaine. Quand tu es dans un groupe et que chacun parle de ses chiffres, de ses objectifs, forcément tu compares. Même si tu sais que tu n’en es pas toujours au même stade, tu te mets la pression pour arriver au niveau supérieur. Ici au YC tout le monde a un niveau de confiance et d’engagement très élevé. L’investissement des partners est au-dessus des autres programmes d’accélération que l’on a fait précédemment. Après les office hours ou les sessions de groupe, les partners vont continuer à s’investir. Ils ne considèrent pas que leur mission s’arrête aux temps officiels du YC, ils donnent le maximum qu’ils peuvent à chaque fois. Chaque personne avec qui nous sommes en contact est passionnée. Ce rapport à la passion est beaucoup plus vertueux puisqu’ils ne se contentent pas seulement de « faire leur job ». De ce fait, on ne se sent jamais limité en tant que startup dans les moyens mis à disposition, et ça n’engendre donc pas de compétition entre nous. Pour le pitch final non plus, je ne considère pas vraiment qu’il y ait de compétition. Si on considère que les fonds
Le Y Combinator détient plusieurs milliards de participation. Ça explique pourquoi, pour eux, avoir une boite qui fait un « exit » à 50 millions, ça n’a aucun intérêt.
sont illimités, il ne s’agit pas de battre les autres mais d’être tous convaincants. Peut-être que je me fais une fausse idée, mais je ne pense pas que les investisseurs soient ici limités en termes de fonds. En France, tu entends souvent les investisseurs te dire : « désolé je ne peux pas investir chez toi parce que j’ai fait un investissement le mois dernier ». Ici ça ne m’est jamais arrivé. Je crois qu’ils trouvent toujours l’argent s’ils croient au projet.
Est-ce qu’il y a un portrait-robot typique des startups du YC ?
Non, pas du tout ! La seule chose qui nous rassemble, c’est que le YC pense que nous sommes capables de faire une boîte à un milliard. Dans les startups, il y a vraiment toutes les nationalités. Le YC a visiblement beaucoup voyagé pour faire connaître le programme et pour avoir une promotion très internationale. Il y a pas mal d’Africains, d’Indiens, de Chinois… et le stade de développement des startups est très hétérogène. Certaines startups ne sont pas encore lancées, d’autres tout juste mais sans revenu et d’autres en phase d’augmentation des revenus. Certaines visent directement le marché international, d’autres des marchés nationaux, parfois en proposant des modèles inspirés de la Silicon Valley. On a quelques Uber de tel pays, d’Amazon de tel pays… Tous les domaines sont aussi représentés, B2B, B2C, médical, paiement, e-commerce, aérospatial etc. Du côté des business models aussi c’est varié, il faut un an pour acquérir un client pour certaines startups, quelques secondes pour d’autres.
Et Moneytis dans ce paysage ?
Moneytis est une idée originale, notre modèle ne s’est pas encore imposé au monde, mais ça ne saurait tarder (rires) ! Notre service est par essence international et il nous faut généralement dix minutes pour gagner un client. Ici au YC on améliore simultanément le produit et le nombre d’utilisateurs satisfaits.
La Valley, grosse claque ou petite déception ?
Il n’y a pas débat, c’est le meilleur endroit pour développer ta startup. Mais c’est aussi l’endroit où ça coûte le plus cher. Il faut compter plusieurs dizaines de milliers de dollars par mois et par personne juste pour survivre ! Il y a de nombreuses différences avec ce que l’on connaît en France. Pour qu’un investisseur finance, il faut qu’il comprenne bien ton business, ton marché et tes perspectives de croissance. Comment tu peux devenir gros. En France, il faut souvent montrer qu’on fait déjà pas mal de chiffre d’affaires et présenter un business plan qui rassure, même si on extrapole un peu les chiffres. Ici, si tu présentes quelques projections et KPI, c’est suffisant et c’est vraiment appréciable ! Les emails c’est assez drôle aussi. Ici, si tu ne réponds pas dans les 24H à un email, tu es « out ». Quand j’envoie un mail à un partner, un entrepreneur ou un investisseur, je peux raisonnablement attendre une réponse dans les cinq minutes. Ici l’email c’est comme les SMS en France, et les mails en France où les gens répondent sous 3-4 jours, ici c’est un peu comme le courrier ! Il y a une très grande différence de rythme, de réactivité. Mais le plus incroyable, je crois, c’est le niveau de culture startup moyen ici. Par exemple, la semaine dernière, on est allé courir avec Étienne. On s’est fait dépasser par deux papis sur des vélos, alors j’ai accélérer pour les doubler. Puis, de fil en aiguille, on se retrouve à faire la course en rigolant. Arrivés au bout de la jetée, on se chambre un peu puis ils nous ont demandé « hardware ou software ? » On était vraiment étonné d’entendre ce genre de question de la part de personnes plutôt âgées, et dans un cadre hors travail. On a commencé à leur expliquer ce que l’on faisait, en 2 minutes ils ont tout saisi et puis l’un d’eux nous a demandé : « quels sont les effets de la blockchain sur les transferts d’argent ? Est-ce que vous croyez plutôt au développement de l’encryption publique ou privée ? »; autant vous dire qu’on s’est cru un instant dans un vidéo gag ! Chaque personne lambda a un bagage startup incroyable.
Cette anecdote montre bien que tout ce qui nous entoure ici vit et respire startup et technologie. Chaque contact, que ce soit ou non dans le cadre professionnel ou pas, peut s’avérer être un partenaire, un investisseur, un advisor, etc. La différence d’échelle est aussi marquante. Ici, tout le monde court après l’argent, tout le temps. On dirait que c’est leur seul objectif ! Hier, on avait un dîner au YC et on nous disait que parmi nous il y aurait plusieurs milliardaires. Évidemment on veut réussir mais notre objectif principal n’est pas forcément de devenir milliardaire. Ici on a l’impression que tout le monde court après le milliard ! Aujourd’hui, la valorisation cumulée des startups dans lesquelles a investi le YC est de plus de 100 milliards. Ils détiennent donc plusieurs milliards de participation. Ça explique pourquoi, pour eux, avoir une boîte qui fait un « exit » à 50 millions, ça n’a aucun intérêt. Toute cette bulle d’argent et de technologie est à la fois flippante et fantastique. On a l’impression de vraiment vivre dans un monde à part, coupé de la réalité, parfois proche de Black Mirror ! D’un point de vue plus personnel, pour une bonne bière en soirée ou une bringue de temps en temps, Lisbonne était bien plus adaptée ! Les gens de la Silicon Valley travaillent 16 heures par jour et considèrent leur vie personnelle comme secondaire…
Et maintenant, quelques mois après la fin du YC, quel est ton sentiment sur le programme avec du recul?
Quelques mois apres la fin du YC, on se rend compte qu’il y a deux facteurs que le YC change dans une startup. Le premier est interne, on a des méthodes et des notions qu’on n’avait pas avant le YC. Par exemple, on a une attention particulière pour les utilisateurs qui font des transferts d’argent de France vers le reste du monde parce qu’on sait que ce sont ceux desquels nous sommes le plus proche, et que la proximité apporte de la confiance, point important dans la finance. On est trés réactifs, et aujourd’hui les français représentent plus de la moitié de nos utilisateurs. Le deuxième est externe : on est sollicité et plus facilement écouté parce qu’on a fait le YC. Ça ouvre des portes.
Comment s’est passé le demo day, et a t-il débouché sur des opportunités pour Moneytis ?
Le demo day est le point culminant de la période de 3 mois parce qu’il donne lieu a des contacts de très haut vol, en terme d investissement et de partenariats. Ceci dit ça continue après le demo day, bien heureusement. On a eu l’occasion de se rapprocher d’investisseurs très connus, de partenaires bancaires, et de spécialistes blockchain qui tous nous aident a franchir des paliers.
Gardez vous des contacts avec le YC, des mentors ou d’autres startups ?
Nous sommes liés à plusieurs startups, professionnellement et personnellement, alors oui. Même chose pour les mentors. Ils demandent des nouvelles régulièrement et on est content d’en donner. Le YC c’est avant tout un immense réseau de talents exceptionnels dans l’entrepreneuriat.
Tous propos recueillis par GO.