Carine Lallemand, chercheure en expérience utilisateur avec un gros focus sur les méthodes en lien avec le monde professionnel de l’UX. Elle forme et accompagne aujourd’hui des professionnels de l’UX et des acteurs du digital à ces méthodologies. Lors de sa conférence au Blend Web Mix, elle y a présenté des méthodes rapides et pas chères idéales pour les startups. L’occasion de revenir avec elle sur l’importance de l’UX design lors de la création d’une entreprise.
C’est quoi l’UX design ?
L’UX design c’est le fait de prendre en compte l’utilisateur dans la conception d’un produit, d’un service ou d’un système de manière à créer une expérience d’usage qui soit optimale. L’approche UX doit intervenir en amont du projet car elle permet de vérifier tôt l’alignement entre une idée et les besoins et motivations des utilisateurs cibles. L’UX design peut aussi être le point de départ d’une innovation : on observe les utilisateurs dans un contexte donné, on observe les frustrations, les problèmes d’usage et on en tire des opportunités d’innovation pour se lancer sur un projet. Dans tous les cas l’UX design c’est dès le début, et même avant ! C’est l’expérience qui créé la valeur des produits ou services, et qui permet de se différencier sur le marché.
L’UX design est donc une approche globale ? Ce n’est pas juste cantonné à l’optimisation des boutons sur un site web ?
En effet, il y a une méconception de l’UX design et beaucoup de stéréotypes de ce genre. Cela vient en partie de son origine liée à l’ergonomie logicielle qui agissait beaucoup sur l’interface, la position des éléments, etc… Le champ de l’UX design est en réalité beaucoup plus large, et peut se résumer en 5 phases. Tout d’abord la planification, c’est la phase de définition du problème. Quelle problématique souhaite t’on résoudre ? A qui cela va profiter ? Quelles sont nos ressources et nos contraintes ? Puis on a une phase d’exploration, par laquelle on va essayer de comprendre et d’analyser le besoin utilisateur, les motivations, les frustrations. Que font les gens ? Qu’est ce qui les motive ? Quels problèmes rencontrent-ils ? C’est essentiellement une phase de rencontre des utilisateurs par des entretiens ou des observations sur le terrain. On va synthétiser toutes ces informations sous forme de personas ou de customer journeys pour servir de base à la phase suivante qui est l’idéation. Ici on anime des ateliers d’idéation et de co-conception pour générer des idées et les prioriser. L’étape suivante c’est le maquettage. C’est le moment où on va traduire une expérience désirée en éléments concrets. On peut démarrer sur papier et confronter directement aux utilisateurs ces maquettes puis lancer les premiers prototypes. Enfin, la dernière étape, c’est l’évaluation dont la méthode la plus connue est le test utilisateur au cours duquel on vérifie les hypothèses émises et on améliore le système de façon itérative jusqu’à obtenir l’expérience optimale.
N’y’a-t-il pas un peu de frustration pour l’entrepreneur qui a son idée d’application ou de logiciel de confronter son idée à sa cible sur un bout de papier ?
Je peux concevoir que cela soit frustrant, car il y a une chose qu’on ne peut pas nier, c’est que l’esthétique joue dans l’expérience finale. Mais dans ces phases-là, l’entrepreneur doit rencontrer des utilisateurs cible et faire des tests, mais ce ne sont pas encore ses clients, donc il n’a pas à être gêné. Si vous tentez le coup, vous verrez que les feedbacks obtenus sont tellement utiles qu’ils vont dépasser la frustration initiale. La confrontation aux utilisateurs est le meilleur moyen de booster un projet. L’entrepreneur doit comprendre qu’il ne se bat plus seulement contre une technologie ou une innovation, mais aussi sur l’expérience, car la différence peut se faire ici.
A-t-on quantifié l’apport de l’UX dans l’utilisation d’une appli ou d’un site ?
En effet, il y a le fameux return on investment de l’UX design. Il y a des chiffres sur des blogs qui vont de + 200% de conversion à d’autres statistiques invérifiables. La réalité c’est que c’est très difficile de quantifier cela sauf au cas par cas. En revanche le fait que les process d’UX design ont un réel apport n’est jamais remis en cause. Ils créent de la valeur, réduisent les coûts et fidélisent les utilisateurs.
Globalement, quels sont les freins au développement de l’UX ?
La perception globale de l’UX est très limitée. On ne retient souvent que la partie design alors que notre coeur c’est l’utilisateur. Parce qu’avant de savoir si le bouton est bien placé ou pas sur le site internet, il faut déjà savoir si les utilisateurs vont trouver un intérêt au produit ou au service. Heureusement, on voit de plus en plus de sensibilisation à l’UX dans les incubateurs et accélérateurs, pour démontrer la largeur de champ d’action. La vérité c’est que l’UX permet à chaque étape de récolter des données précieuses. Je pense que pour démocratiser l’UX et notamment auprès des startups, il faut aussi développer des méthodes « guérilla » qui ne nécessitent pas trop de temps, de ressources et d’expertise.
Justement quel exemple de méthode « guérilla » peux-tu donner ?
Sur internet, on trouve un peu de tout. Par exemple, très souvent on donne l’exemple d’aller faire des tests utilisateurs au Starbucks du coin en échange d’un café. C’est vrai que cela ne coûte pas grand-chose de payer un café à chaque test, mais cela n’a aucun intérêt sauf si tu conçois une application pour Starbucks. Il faut faire des « guérilla » test avec ta cible et réfléchir aux lieux où se trouvent tes utilisateurs.
Il y a des méthodes guérilla pour chaque phase du processus d’UX design, difficiles de les mentionner toutes. Dans la phase d’exploration, on peut par exemple réaliser par exemple des observations Fly-on-the-Wall. Comme « une mouche sur un mur », on observe les comportements des utilisateurs en étant attentifs à leurs frustrations. Cela paraît évident, mais en regardant bien autour de soi, on découvre un monde d’opportunités !
Avant de savoir si le bouton est bien placé ou pas sur le site internet, il faut déjà savoir si les utilisateurs vont trouver un intérêt au produit ou au service.
Quels conseils donnerais-tu à une start-up qui se lance ? Les 3 points clés à vérifier ?
Le premier, c’est d’impliquer ton coeur de cible dès le départ. Même le meilleur des concepts doit être challengé par la perspective des utilisateurs. Etre ouvert et se remettre en question c’est essentiel. Ensuite, itérer les solutions, ne pas coder avant d’avoir vérifié ce qui fonctionne ou non et ne pas hésiter à retourner plusieurs fois sur le terrain. Même quelques minutes, mais il faut itérer, et à chaque fois s’imprégner de ce que les gens font. Pas uniquement de ce qu’ils disent, mais de ce qu’ils font. Et enfin, ne demandez jamais à vos utilisateurs la solution rêvée. Ce n’est pas eux qui vont solutionner le problème, cela reste votre job !
Existe-t-il aujourd’hui des outils, des livres de référence en UX ?
La deuxième édition de mon livre « Méthode de design UX » sort très bientôt. Cette version va se concentrer sur des variantes « guérilla » permettant de se donner les moyens de faire de l’UX quand on n’en a pas les moyens. J’en ai d’ailleurs présenté un certain nombre lors de mon intervention « Quick mais pas dirty » au BlendWebMix de Lyon.
Niveau outils, il y a aussi le Design Sprint, qui est une méthodologie novatrice développée par les spécialistes UX de Google Ventures, qui permet d’accélérer et simplifier le processus de design d’un produit sur 5 jours. Elle a été créée spécialement pour les startups et permet d’appliquer rapidement les fondamentaux de l’UX design à son projet.