En octobre 2016, la startup française Clustree, spécialisée dans les ressources humaines, embauchait un nouveau directeur général sénior. Le Figaro et Les Echos en avaient alors fait un article en mettant en exergue la rareté de cette situation que pourtant rien n’empêche. La série américaine Silicon Valley en fait d’ailleurs un fil rouge dans sa troisième saison. Mais est-ce vraiment si rare que cela ? Les startups sont-elles faites pour « les vieux » ? Les vieux pourront-ils sauver les startups ? Des questions qu’il est temps de se poser alors que 25% de la population française est âgée de plus de 60 ans.
« À 50 ans, la société vous met sur le bord de la route! ». Ce constat amer est celui de Lionel Bry, un entrepreneur à la tête d’une startup composée d’une équipe de dix personnes, dont six ont plus de 50 ans. « J’ai voulu créer une startup dans laquelle « les vieux » ont toute leur place », mais ne lui dites pas que c’est une startup de vieux. Non. « Nous sommes dans la créativité, nous ne sommes pas vieux dans nos têtes et nous avons toutes les compétences et l’expérience pour réussir là où beaucoup vont se casser les dents, » s’exclame-t-il. « Puis il serait complètement idiot de bâtir une startup uniquement avec des cinquantenaires car les enjeux du numérique aujourd’hui sont trop importants pour ne pas avoir de compétences en webmarketing, en développement ou en référencement. Et sur ces thématiques, les jeunes sont bien mieux armés ».
Qui es-tu, « vieux » startupper ?
L’emploi du mot vieux est totalement volontaire. Vieux vient de vetus en latin : « qui dure depuis longtemps », contrairement à senior qui, même s’il paraît plus correct, est un comparatif de senex qui signifie « âgé, ancien, déclinant ». Oui, car les vieux en startup n’ont rien de déclinant, au contraire. Lionel Bry, par exemple, est un inventeur. Primé plusieurs fois pour ses innovations, il décide de créer H24 en 2015 pour offrir une solution et un plan de carrière à ceux qui sont mis sur le côté. « Je l’ai vécu », confie-t-il. Loin de la volonté de disrupter un marché, « l’entrepreneur qui a cinquante ans et qui se lance dans l’aventure startup n’a pas les mêmes motivations que le jeune de vingt ans. Qu’il ait eu un parcours atypique ou une carrière en grand groupe, il cherche de nouveaux challenges, de nouvelles expériences » d’après Lionel. Il faut dire que le vieux startupper casse l’idée du lancement d’une boîte dans un garage avec 200 euros en poche.
Lionel avait le choix entre acheter une belle berline allemande et mettre en place un modèle d’entreprise qu’il espère pérenne et responsable. Il a choisi H24. Selon Xavier Millin, expert en levée de fonds et mentor, le vieux qui se lance a du cash et de l’expertise, « il ne décide pas de se lancer sur un coup de tête ou parce qu’il a eu une idée géniale au réveil. Il observe beaucoup plus son secteur et c’est l’occasion qui fait le larron ». Pourtant, l’expert n’est pas infaillible et avec l’âge il a même tendance à ne pas admettre ses torts. Après plus de trente ans dans un secteur, il est facile de croire que l’on détient la vérité et cela peut conduire à des situations dramatiques. Globalement, Xavier Milin a vu plus de ratés que de réussites. « La seule boîte créée par un vieux que j’ai vu avancer est aujourd’hui en redressement judiciaire. Il s’était pourtant entouré de jeunes comme c’était une technologie très poussée. » Il revient aussi sur le cas d’une startup fondée par des vieux : « ils avaient mis près de 3 millions d’euros pour développer une technologie qu’ils pensaient révolutionnaire. Très rapidement, il fallait vérifier le besoin du marché. Chose qu’ils n’ont pas faite et la startup a coulé ». Les vieux qui entreprennent sont dans le bon esprit mais adoptent des méthodes apprises dans d’autres contextes professionnels et donc prennent les risques différemment. Plutôt que de bootstrapper, ils vont préférer mettre dès le départ des fonds propres importants pour s’assurer un salaire conséquent et investir dans un site ou une application parfaite. « J’ai vu des entrepreneurs mettre 600 000 euros pour un site avec une API pour une boite dans le tourisme… et maintenant il n’y a plus rien, pas de traction, plus de cash. En réalité, les startuppers de 50 ans et plus sont souvent dans une logique de plaisir après une carrière bien remplie, ce qui les freine quand il faut aller se confronter aux clients, » raconte Xavier. Si c’était seulement l’apanage des vieux… les échecs les plus retentissants de l’écosystème ne sont pas portés par des entrepreneurs qui dépassent les 45 ans.
Primo entrepreneur + retraité = combinaison gagnante
Ces dernières années, les startups ont envahi les universités, les grandes écoles et même les lycées. Ajoutant à cela, les désirs de liberté et d’indépendance de la génération Y, c’est en toute logique que l’âge moyen de l’entrepreneur a diminué. Sauf que l’entrepreneur est comme une cuvée de Bordeaux, il se bonifie avec l’âge. S’agirait-il alors de créer une combinaison entre folie de la jeunesse et expérience des vieux pour gagner en crédibilité, en efficacité et en pérennité ?
« Sous prétexte que j’ai 70 ans, je devrais remercier ces jeunes entrepreneurs de venir me sortir de ma routine quotidienne et donc leur rendre service gratuitement ? Je dis non. » Gilles Maucout
Selon Gilles Moucaut, ancien cadre de Michelin et spécialiste de l’Asie, « c’est la mission des anciens d’aider les jeunes » et il sait de quoi il parle. En 2015, Gilles et ses 70 printemps a permis à une startup française de décoller. « La startup cherchait à entrer en contact avec un fabricant de matériel japonais très réputé pour fabriquer des programmes en 3D, » raconte Gilles. Comme la startup, des entreprises indiennes et russes s’étaient cassé les dents. Il faut dire que les codes du business en Asie sont très complexes et difficiles à comprendre. Gilles identifie vite les problèmes. Avec une nouvelle approche, moins business et l’utilisation du japonais, la société obtient un premier rendez-vous inespéré. « Dans ces situations, l’expertise pointue d’un vieux est un apport non négligeable, estime Gilles. J’ai débloqué une situation par ma connaissance du milieu et des années d’expérience terrain. Au final, nous sommes allés beaucoup plus loin qu’envisagé au départ ». Est-ce pour autant possible d’intégrer les vieux dans une startup à plus long terme ? Cela dépend de leur situation. S’ils sont retraités, cela devient plus difficile pour des raisons de priorités et malheureusement parfois de santé.
En revanche, la motivation des cinquantenaires au chômage n’a pas d’égal. La startup Nos Grands-mères ont du Talent, par exemple, a fait le choix de n’embaucher en retail que des personnes de plus de 50 ans. Jean de Guerre, le fondateur de cette enseigne de restauration de plats cuisinés à emporter dans les gares ou aéroports, explique qu’« au-delà de l’expérience, on cherche plus des savoir-être que des savoir-faire dans notre entreprise. Puis c’est notre travail de former nos collaborateurs à nos outils numériques d’encaissement. » Une fracture numérique existante qui ne remet pas en cause le modèle, car l’apport des vieux est autrement plus important en matière de relation client. « On gagne en patience à travailler avec des personnes plus matures. Ils ont un rapport au stress différent et conservent leur calme dans toutes les situations. Les clients ressentent cet apaisement et cela correspond à l’image de notre marque, » raconte Jean de Guerre. Une confiance que l’on retrouve aussi chez les collaborateurs de H24, la startup fondée par Lionel Bry. « Les jeunes de notre équipe nous le disent assez souvent, c’est rassurant pour eux d’être accompagnés par des personnes « qui ont de la bouteille ». Ils se sentent en sécurité et une émulation saine naît de cette relation car le jeune apporte sa connaissance des nouveaux outils et sa fougue, quand le vieux va apporter de la sagesse et un recul sur les actions menées ». Pour Lionel, il ne faut en aucun cas opposer les générations, mais bien les faire travailler ensemble, dans des rôles à leur portée et vers un objectif commun pour créer une alchimie. En 2017 donc, il faut partir du principe que l’aîné rassure et le cadet inspire. Un subtil équilibre qui serait un facteur de réussite pour la pérennité de l’entreprise. Mais est-ce toujours possible ? Jean de Guerre tempère : « 60% de notre effectif a plus de 50 ans et on ne se refuse pas de recruter de tels profils sur les fonctions supports, mais aujourd’hui nos enjeux marketing sont principalement sur les technologies numériques donc cela reste compliqué d’allier compétence et expérience pour une startup en création qui n’a pas de fonds illimités. »
Pourquoi ça coince ?
L’écosystème startup français offre des emplois très majoritairement dans le numérique, c’est un fait et les vieux ont un retard certain sur ces problématiques. Il est normal pour une startup de recruter un growth hacker de vingt ans plutôt qu’un profil senior du marketing traditionnel. La réalité est que les vieux ont une réelle valeur ajoutée dans les fonctions support une fois une certaine taille critique atteinte. La scalabilité* requise par les startups s’impose aussi en matière de recrutement. En phase de lancement, et jusqu’à la phase de stabilisation, les startups misent plus sur des profils qui pourront s’adapter aux technologies rapidement, qui sauront avoir des compétences transversales plutôt que sur des profils ultra-qualifiés. « Les vieux sont loin d’être des cons mais la différence entre le monde de l’entrepreneuriat et les grands groupes est telle qu’il est difficile d’avoir le feeling et d’instaurer une relation sur le long terme, » selon Xavier Milin. Pour Gilles Maucout, si les situations d’entraide entre les vieux et les startups sont rares, c’est aussi à cause de la radinerie des dernières citées. « Ce n’est pas parce que je suis retraité que mon expertise est gratuite. Sous prétexte que j’ai 70 ans, je devrais remercier ces jeunes entrepreneurs de venir me sortir de ma routine quotidienne et donc leur rendre service gratuitement ? Je dis non. Ce n’est pas parce que je reçois tous les quinze jours un papier pour le dépistage du cancer de la prostate que je n’ai rien à faire et que je suis à la disposition de tous. »
Quel rôle donner alors aux vieux, qu’ils soient retraités ou encore en activité? Le bénévolat n’est que trop peu engageant et l’embauche est doublement problématique. Tout d’abord parce que les vieux compétents ont de gros salaires. Jean-Louis Pérol expliquait aux Échos qu’il avait beaucoup réfléchi avant d’accepter l’offre de Clustree. Pourquoi? Parce que quitter un poste de direction dans une grande entreprise – et le salaire qui va avec – n’est pas une chose simple. Et deuxièmement parce que cela engage le senior dans une entreprise avec une visibilité plus courte. Une startup peut « pivoter » dans les deux mois qui suivent. La prestation ponctuelle semble donc la solution optimale, mais où trouver ces vieux au savoir développé qui correspondent aux besoins des startups ? Des initiatives comme « accélérateur de croissance », qui prône le conseil des vieux pour favoriser l’éclosion de startups ou encore la plateforme TIGcRE, née de la rencontre de Christine Damiguet, 65 ans, avec Samuel Reslinger, 33 ans, ont vu le jour pour essayer de se faire rencontrer l’offre et la demande. Le but de cette association est de fusionner l’audace des jeunes créateurs avec l’expérience et la connaissance des plus âgés, donc plus aguerris dans le domaine de l’entrepreneuriat. « Il est important de jouer sur cette complémentarité intergénérationnelle. C’est ce qui fera la force et la plus-value de l’entreprise créée ou reprise grâce à ce mélange », affirme Christine Damiguet, présidente de TIGcRE.
Mais vont-ils sauver les startups ?
Du côté des investisseurs, la question de l’expérience et de la présence de vieux dans les équipes est fondamentale. Le critère numéro un dans l’analyse d’une opportunité d’investissement est l’équipe. « On va rechercher plusieurs critères sur cette équipe : est-elle légitime sur le métier abordé par la startup ? Est-elle raisonnablement complète ? La chimie semble-t-elle fonctionner ? Un vieux n’est pas un gage de réussite quand on lève des fonds car les critères sont analysés de façon aussi objective que possible, pour autant il est clair que l’investisseur est rassuré quand un des membres de l’équipe apporte une expérience solide soit dans le domaine où doit grandir la startup, soit au niveau des opérations. Si en plus le vieux a bâti cette précédente expérience dans une startup à succès, chez un concurrent ou un partenaire potentiel de la startup, c’est bonus, » estime Marc Rougier, co-fondateur de scoop.it et aujourd’hui à la tête du fonds early stage Elaïa Partners. « Ça paraît un peu trivial bien sûr mais regardons l’explosion du Machine Learning aujourd’hui. Le Machine Learning consiste à deviner des règles statistiques à partir de données. C’est exactement le mécanisme de l’expérience. En accumulant des données tout au long de son expérience, le vieux infère des règles statistiquement justes de façon beaucoup plus fiable et rapide qu’une approche analytique. Ces données, dont tous les CDO et autres amoureux de l’intelligence artificielle reconnaîtront la valeur stratégique, sont l’actif humain inestimable de l’expérience, » poursuit-il.
« Il est important de jouer sur cette complémentarité intergénérationnelle. C’est ce qui fera la force et la plus-value de l’entreprise créée ou reprise grâce à ce mélange »
Pour Benoît Marrel, partner chez Breega Capital, s’il veut réussir dans les startups, il est impératif que le vieux conserve toute sa niaque et son agilité. Une adéquation compliquée selon lui : « on se rend compte que les vieux peuvent manquer de résilience en cas de coup dur et retourner dans l’industrie très rapidement ». Selon Gilles Maucout, « on fait croire que les primo entrepreneurs arrivent à créer des startups successful sans expérience, mais c’est faux. Pour ceux qui y parviennent, ils sont soit plusieurs fondateurs avec un plus âgé, soit ils sont suivis de très près par un board et des investisseurs expérimentés.» S’il réfute l’idée que les vieux puissent sauver les startups, Gilles maintient que leur expertise, si elle est pointue, est une ressource unique et que c’est aux jeunes entrepreneurs d’être en capacité de les mobiliser. Une réflexion que partage Xavier Milin, pour lui, « les vieux apportent ce qu’il y a de plus précieux pour une startup : des compétences rares, un réseau et de l’expérience, mais leur présence doit être ponctuelle. »
Les vieux ne sauveront peut-être pas les startups mais ils peuvent les faire progresser. Pour essayer d’inverser la courbe ascendante du taux d’échec, l’écosystème startup centré sur la jeunesse doit s’ouvrir à l’expérience des vieux. Mais par pitié, que l’on arrête de créer des armées de mentors qui n’ont, soi-disant, cure de l’argent ! Tout ce qui a de la valeur se paie au prix fort. Les vieux aussi !