Elise, quel est ton parcours ?
Je suis issue d’une formation littéraire et j’ai fait Sciences Po Lyon. Je me destinais plutôt aux métiers du journalisme et de l’édition. Alexandre Lacroix, le directeur de “Philosophie Magazine”, co-fondateur des Mots, était l’un de mes professeurs à Sciences Po Lyon. Il m’avait particulièrement marquée et passionnée avec son atelier d’écriture créative !
Au début de ma vie professionnelle, j’ai travaillé en tant que journaliste pour des magazines tels que “Usbek & Rica” ou “Philosophie Magazine” et dans des émissions sur le net en web-tv et podcast autour des médias, du numérique.…
Et puis un jour, un ami m’a transféré une annonce pour “Le Camping”, l’accélérateur de startups du NUMA (alors Silicon Sentier) qui recherchait un “Community manager”! Un monde jusqu’alors inconnu pour moi. C’était en 2011. On parlait très peu des startups. J’ai rencontré Alice Zagury, qui dirigeait “Le Camping”. J’ai été séduite, à la fois par sa personnalité, mais aussi par le dynamisme et l’optimisme de cet écosystème. Quand Alice m’a proposé de rejoindre “Le Camping”, j’ai accepté car le monde un peu austère du journalisme me pesait !
Le monde des startups recèle de personnalités ouvertes, intelligentes et agiles. Je me suis sentie bien dans cet écosystème ! J’y ai travaillé pendant 6 ans tout d’abord dans la communication, puis en tant que directrice du Camping, et enfin en charge du pôle ressources au NUMA.
As-tu toujours été passionnée par la littérature ?
Oui, c’est une passion depuis longtemps. Entre l’âge de 15 et 25 ans, j’ai beaucoup écrit. Cela faisait partie de ma vie. Je manquais beaucoup de cours à Sciences Po pour finir mon deuxième roman, “Les Interactions Légères” ! J’en avais déjà fini un avant, “De Fil en aiguille”, et puis j’en ai encore écrit un autre, après mes études, sans titre, avant d’arrêter. Étudiante, je regrettais qu’il n’existât pas d’école pour apprendre le métier d’écrivain et je m’interrogeais sur la manière dont l’on pourrait apprendre et progresser en écriture. Je me souviens de cet instant où j’ai levé les yeux vers la devanture de Sciences Po et, pendant une seconde, j’ai rêvé de cette école d’écriture, pour les gens comme moi, qui rêvaient d’être écrivain sans savoir très bien comment s’y prendre exactement.
Lors de ma période au Camping, j’ai mis de côté l’écriture mais je gardais un pied dans la littérature en continuant à lire ! Je percevais beaucoup de parallèles entre l’accompagnement que l’on faisait avec les startups et celui que l’on pourrait mener avec des écrivains. Progressivement, l’idée a germé que l’on pourrait très bien dupliquer le programme d’accompagnement des startups au monde de l’écriture.
Tout comme on entendait beaucoup à l’époque, que dans le monde des startups, l’on ne peut pas apprendre à devenir entrepreneur, il est courant d’entendre de nos jours que l’on ne peut pas apprendre à écrire. Or, je suis intimement convaincue que si le génie littéraire ne s’apprend pas, tout le monde peut apprendre à écrire. Et surtout, le mélange, la culture du “feedback”, de l’échange avec des “mentors” plus expérimentés, apporte beaucoup, comme on le faisait au Camping. J’ai vu les résultats concrets sur des entrepreneurs, au départ isolés, qui ont fini par former une véritable communauté d’entraide, solide, durable. Écrire, comme entreprendre, représente une vocation à part, difficile. L’entraide peut tout changer. En tout cas, ce genre de lieu permet de créer un lien précieux avec des personnes qui partagent la même envie, profonde : celle d’accomplir quelque chose de fort, de fou, de hors-norme, d’extraordinaire, d’une certaine façon.
D’où la naissance des Mots ?
Une coïncidence mais en même temps que je réfléchissais à cette idée, Alexandre Lacroix m’a contactée pour me parler d’un de ses projets. Son idée consistait à créer un lieu où l’on pouvait prendre des cours d’écriture aussi facilement que des cours de danse ou de dessin: non pas un accélérateur d’écrivains mais une école d’écriture. Finalement, les deux idées pouvaient former un seul projet : Les Mots !
Le marché est réel : 15% des Français écrivent, et souhaitent s’améliorer. En janvier 2016, la ville de Paris a lancé un grand appel d’offres intitulé « Réinventer Paris » dont l’objectif était de voir essaimer des projets urbains dans Paris, pour réinventer la ville dans des lieux d’exception.
Nous avons beaucoup travaillé sur le concept d’un lieu dans un hôtel particulier, avec une école d’écriture, un accélérateur d’écrivains, une librairie et même une résidence avec un hôtel pour des écrivains ! Nous sommes arrivés jusqu’en finale mais n’avons pas été retenus… quelle déception !
Mais cela a été l’occasion de nous mettre le pied à l’étrier et de nous lancer pleinement dans le projet. C’est ainsi aussi que nous avons découvert ce dispositif fantastique, la SEMAEST, dont l’action vise à maintenir les prédispositions culturelles des quartiers en louant des locaux à des porteurs de projets sélectionnés. C’est important de préserver les petits commerces et la vie de quartier, sous peine de n’avoir plus à Paris que des H&M et des Sephora ! Dans le cadre de ce dispositif, nous avons eu un véritable coup de cœur pour un local dans le Vème arrondissement, le quartier des libraires, rue Dante ! On s’est tout de suite projeté dans ce lieu. En mai 2016, on avait à la fois la confirmation du lieu et des retours positifs d’écrivains qui étaient partants pour partager leur expérience au travers d’ateliers. Nous avons alors levé 135 k€ en juin 2016 avec trois investisseurs, Guillaume Allary, fondateur et Président de Allary Editions, Fabrice Gerschel, Directeur de la publication de Philosophie Magazine et Alexandre Picciotto, Directeur général du groupe de capital développement Orfim. Nous avons investi nous-même de l’argent pour nous permettre d’ouvrir le lieu, démarrer l’activité et tester les différents formats d’ateliers. J’ai quitté Numa seulement en octobre, lorsqu’il était devenu vraiment nécessaire de consacrer tout mon temps au projet !
En quoi Les Mots s’inspire des startups ?
La taille du marché est conséquente, un Français sur 3 rêve d’écrire, avec une aspiration, assumée ou pas, de publication. C’est un rêve qui touche un marché large contrairement à l’idée préconçue selon laquelle la littérature et l’écriture seraient réservées à une élite intellectuelle.
Ensuite, nous construisons notre offre comme une startup. Nous allons commencer avec beaucoup d’ateliers mais on ne sait pas du tout encore ce qui va fonctionner. On devra réajuster au fur et à mesure l’offre et les formats pour coller au mieux avec les attentes de nos clients.
Enfin, nous espérons avec les Mots rendre accessible, démocratiser l’écriture, tant dans l’état d’esprit que dans la tarification. On veut permettre aux gens de réintroduire l’écriture dans leur vie, que ce soit dans une démarche professionnelle (mail, réseaux sociaux, rapport, publication), personnelle (lettre d’amour, journal intime) ou créative (fiction, érotique, bande dessinée…).
La littérature peut être un monde d’entre soi, assez intimidant, et nous souhaitons au maximum faire tomber les barrières, introduire de la mixité. 2 heures de cours chez Les Mots coûtent 30€, ce n’est pas plus cher qu’un cours de yoga par exemple.
Quel parallèle peut-on faire entre les startups et la littérature ?
Le parallèle le plus important pour moi est dans l’apprentissage ! Je crois que les modèles d’accélération de startup sont en tout point duplicables pour les écrivains : processus de sélection, mentors et ateliers, mise en relation avec des éditeurs… Les ratios de publication d’écrits sont même encore plus faibles que ceux des financements des startups.
Il existe encore beaucoup d’idées reçues sur le talent de l’écrivain : si l’on n’a pas un don naturel, on ne saura jamais écrire. Pourtant, Victor Hugo était évidemment talentueux mais il ne serait jamais devenu l’écrivain que l’on connaît aujourd’hui s’il n’avait eu des méthodes d’écriture !
Par ailleurs, comme dans tout écosystème propre, il existe des codes, des règles, des stars, un vocabulaire propre. Le monde des startups n’a de ce point de vue-là rien de nouveau, les aspects communautaires y sont aussi forts que dans le monde littéraire par exemple.
Enfin, ce n’est pas un parallèle, mais je suis convaincue qu’un pont intéressant peut être opéré entre ces deux mondes. J’ai parfois trouvé que l’écosystème startup manquait de “consistance”. C’est un grand contraste avec celui des écrivains, où chaque mot est choisi et soigné, parfois trop ! La figure d’entrepreneur peut (et doit) inspirer celle de l’écrivain contemporain, l’écrivain du XXIème siècle (qui n’est plus l’intellectuel du XXème), comme l’écrivain devrait inspirer l’entrepreneur, par sa capacité à faire émerger des idées fortes et consistantes.
On a l’impression que la littérature est revenu à la mode. Partages-tu ce sentiment ?
Oui, je crois en effet qu’il y a un retour ces dernières années vers la lecture et la littérature. Aujourd’hui on arrive à se détacher de l’image de l’intello austère qui pouvait exister il y a quelques années. Les blogs littéraires et Instagram ont notamment contribué à moderniser cette image, avec des « bookstagrameuses » très actives et influentes, qui n’ont rien de ringard ! Le numérique a finalement rafraîchi l’image de la lecture et la littérature !
Est-ce que les gens ont plus besoin d’Art qu’avant ?
Je crois que nous évoluons aujourd’hui dans un monde où il existe une aspiration forte à trouver des activités qui nous permettent de prendre du recul.
Tout va très vite et nous n’avons pas d’autre choix que d’avancer à la vitesse du monde, c’est-à-dire au pas de course. C’est très difficile de s’opposer à ce mode de vie sous peine de mener une vie marginalisée. De ce fait, décrocher, couper, souffler, prendre du recul devient une question de survie (une question de survie cognitive, cérébrale, physique!). La littérature et l’écriture constituent une sorte de bulle à cette course effrénée, au même titre que la musique, la peinture ou d’autres formes d’art. Une bulle dont il faut prendre soin.
• Tous propos recueillis par GO.
+ sur : lesmots.co