« Utiliser Adblock ne veut pas dire que vous êtes malin ou au-dessus des lois ». Cette phrase de PewDiePie, Felix Kjellberg de son vrai nom et Youtubeur le plus suivi du monde avec 40 millions d’abonnés et 10 milliards de vues, montre l’ambiance qui entoure les Adblocks. Le taux de blocage sur les vidéos de PewDiePie atteint aujourd’hui les 40 % environ, alors qu’il était que de 15 % en 2013. Si le jeune suédois ne se plaint pas, il met en avant que ce taux de blocage est catastrophique et « dévastateur pour les chaînes Youtube plus petites ». Aujourd’hui, le phénomène prend une telle ampleur qu’il menace de remettre en cause toute une économie. Nous avons décidé de nous pencher sur les conséquences de l’arrivée de ces outils de blocage et sur un système qui semble parfois très proche d’une mafia.
Qu’est-ce qu’un AdBlock ?
Un Adblocker c’est un programme qui supprime différents types de publicité sur internet. Ces programmes ciblent en priorité les pop-up, les bannières et les vidéos qui précédent les contenus. Les défenseurs des Adblocks mettent en avant l’amélioration de l’expérience utilisateur sur le web sans pollution. Smartphones, tablettes, PC maison ou ordinateur de bureau, web, la suppression des publicités touche tous les supports et tous les acteurs, que ce soit les éditeurs de sites, les utilisateurs et les annonceurs. Presque 200 millions de personnes bloquent les pubs, avec un taux de 94% de croissance par an. Belle perf’
Pourquoi un tel succès est-il gênant ?
Ces chiffres d’utilisations s’expliquent. Tout d’abord parce qu’il est vrai que quand on navigue sur internet les pubs nous polluent non-stop. Ça créer des bugs, ça fait du bruit, ça vous lance des vidéos, ça vous fait patienter pendant 40 secondes avant de lire une vidéo… bref, c’est chiant.
Aussi, parce que votre audience aime le contenu et se fout très souvent du contenant tant qu’elle accède facilement au Graal. Enfin, parce que comme le dit PewDiePie, bloquer les pubs est ressenti comme un acte révolutionnaire contre l’industrie de la pub, les majors, tout ça, tout ça.
20 milliards d’euros, c’est ce que pèsent les publicités bloquées au niveau mondial. On comprend donc pourquoi cela pose problème. Pour Vincent Glad, célèbre journaliste du web, les adblockers vont causer la mort de milliers de sites internet et signer la fin du métier de journaliste web.
Quelles sont les startups qui surfent sur cette vague ?
Adblockplus, est une startup allemande basée à Cologne, qui emploie 40 personnes, dont la plupart, en télétravail. Une startup sur le web qui vit sans publicité, car c’est celui qui subit le blocage qui paie. Adblock prélève jusqu’à 30% des revenues publicitaires des sites pour laisser passer des pubs. D’après le responsable communication de AdBlockPlus, il est « impossible de revenir en arrière » pour l’utilisateur. La startup fait polémique, car elle a établi le principe de publicité « acceptable » et « une liste » blanche. Pour apparaitre et pouvoir afficher de la publicité, il faut payer sinon AdblockPlus entre en scène. Des techniques assimilées habituellement à la mafia.
Secret Media a créé un logiciel qui « réencrypte » chaque pub pour que la publicité s’affiche, même lorsque l’utilisateur a un logiciel installé, car, à chaque fois, elle est codée différemment. D’après Frédéric Montagnon, fondateur de Secret Media « s’il fallait remplacer les revenus publicitaires par du paiement, les ménages devraient payer en moyenne 662 dollars par an ».
PageFair, jeune pousse irlandaise, a développé un service qui détecte la part d’utilisateurs ayant recours à des adblocks et remplace les encarts bloqués par l’affichage de messages du type : « désactive les adblockers! ». Les éditeurs de site reçoivent ensuite les statistiques et PageFair leur propose de remplacer les messages de prévention par de la pub, car ils ont une régie pub en interne. Malins les Irlandais.
Yavli, startup londonienne croit qu’elle peut aider les éditeurs à récupérer des dizaines de milliards de dollars de revenus perdus à cause des adblockers en remplaçant les annonces par du contenu sponsorisé. Yavli vient de déposer un brevet pour la technologie qui adapte le contenu sponsorisé en fonction du contenu de la page. Les annonceurs paient uniquement si l’utilisateur choisit de cliquer sur ce contenu sponsorisé. Une publicité non intrusive et non agressive qui maintient le train de vie des sites et si c’était ça la solution ? Déjà plus de 100 clients pour la startup qui, à n’en pas douter, a trouvé le bon filon.
Si toutes les startups du secteur agissent différemment, une chose est sûre, le perdant est l’éditeur du site.
Les conséquences des Adblocks pour internet ?
Première conséquence, la fin de certaines pages qui comportaient presque 40 éléments de pubs et des sites complets qui ressemblaient à des guirlandes de Noël.
Mais mis à part celui-ci, on cherche les avantages. Car, l’utilisation de blockers tue un modèle, tue le web indépendant et tue le contenu riche. Les utilisateurs ont l’impression de se libérer, mais à côté de ça ils appauvrissent les sites et donc internet en général. Certains sites ne s’embarrassent plus et sont devenus inaccessibles pour ceux qui utilisent ces Adblocker. « Bild » en Allemagne et « France Football » l’ont fait, non sans problèmes. Passées les insultes, le site français a vu ses performances de SEO baisser notamment à cause du taux de rebond. La victime des adblockers devient le méchant pour le visiteur et c’est là le coup de force de AdblockPlus.
La publicité ne s’affiche pas, pas de problème, le contenu devient la pub. Tous les contenus deviennent alors des panneaux d’affichage. Si les Youtubeur français apparaissent dans des vidéos pour vous parler des banques, ce n’est pas parce qu’ils ont découvert un nouveau PEL qui vous change la vie, c’est parce qu’ils se font rémunérer ainsi. Sur la plupart des sites d’informations, on retrouve aussi des articles « sponsorisés » qui permettent de traiter un sujet en rapport avec une entreprise dont les rédacteurs feront la promotion. Il faut bien contourner les nouveaux usages.
Il y a aussi une conséquence pour les entrepreneurs et les startups du web, qu’ils soient sur ordinateur ou mobile, car les adblockers sont depuis peu présents sur IOS et Android. Une grande partie des revenus et du business model de ces startups devient caduque. Bientôt, il sera donc impossible pour les startups d’espérer commencer à générer du cash grâce aux publicités.
Tous les créateurs de contenu reçoivent des appels du pied de Facebook ou Google pour produire chez eux, car eux ont les moyens de les défendre face aux adblockers, mais cela pose un réel problème d’indépendance de l’information. L’indépendance de l’information ne passe que par le financement de ce dernier. Le blocage de publicité représente maintenant une menace existentielle pour l’avenir des contenus gratuits sur Internet.
Le lobby des « against adsblocks » ?
Aujourd’hui, les acteurs de ce marché ont compris les risques et au lieu de créer des outils pour contrer les adblockers, ils préfèrent éduquer le public. Teads, une plateforme technologique vidéo, a créé une vidéo d’une minute dans laquelle ils ont imaginé un monde sans publicités. Mais la startup va plus loin en publiant un document qui regroupe les 10 points qui permettraient à l’industrie de la pub de respecter l’utilisateur.
En Allemagne, un collectif s’est créé et AdBlock a, dans un premier temps, été jugé illégal, car rentrant dans la définition du racket. À savoir, « tirer un avantage d’une situation de chantage, de blocage ou de violence ». Décision annulée en appel, affaire à suivre.
Enfin les grands acteurs du web, qui sont responsables de la dérive et de l’abondance des pubs, Google, Youtube, Facebook et autres comprennent aujourd’hui que les adblocks sont en train de tuer une industrie tout entière et ils semblaient vouloir agir, mais ils donnent plus l’impression de vouloir en profiter en réduisant le nombre de prétendants aux parts du gâteau.
Les Adblocks ont un avantage, ils nous ont fait réfléchir à notre conception d’internet et ses dérives. Mais une fois le sentiment de devenir un « anonymous en herbe » parce que vous avez bloqué la pub passé, les dégâts collatéraux se font sentir. Prenons l’exemple du site Macgénération qui a déjà licencié 2 collaborateurs et qui estime une baisse de 30% de ses revenus. Nous pouvons aussi, voir le nombre de Youtubeur baisser, non pas que cela me chagrine particulièrement, car mis à part certains vraiment très bons, la moyenne est basse. Pourtant internet reste et se doit de rester la meilleure solution pour s’exprimer, qu’il s’agisse d’un blog, d’une chaine Youtube ou d’un site. « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire » n’est-il pas au fond le vrai message d’internet ?
Ce qu’on en pense à la rédaction
Produire du contenu c’est un job à temps plein qui nécessite d’énormes ressources en temps et en argent. Pour beaucoup la publicité, est presque exclusivement la seule source de revenus. Vous l’aurez bien compris, chez 1001startups nous sommes partisans d’une publicité avec parcimonie et non agressive, il n’y a qu’à voir la quantité de pub présente sur notre site (moins de 5% de l’affichage de la homepage), car ce n’est pas notre modèle. Pour autant, nous avons conscience de l’importance d’une information libre que les outils présentés menacent. Les Adblokcers ont remis en cause le contrat tacite qu’il existe entre les éditeurs et les internautes. Nous créons le contenu et vous le consultez gratuitement. Retrouver des publicités sur les sites devient donc une contrepartie logique… Rien n’est gratuit, donc sur internet, quand c’est gratuit c’est vous le produit. Et ne soyons pas choqués de cela, au fond nous en avons tous conscience. Comme pour Spotify, Deezer ou Youtube, acceptez ce principe ou payez ! Activer un Adblocker revient à demander à n’importe quel producteur de contenu de travailler gratuitement. Et vous, accepteriez-vous de travailler gratuitement ?