Début 2018, Partech annonçait le lancement de son fond d’investissement Partech for Africa, doté de 57 millions d’euros. À Viva Tech, l’Afrique sera aussi fortement représentée : les startups du continent seront près d’une centaine sur place dans un espace qui leur sera spécialement réservé, et Paul Kagamé le président rwandais sera présent. EDF y lancera sa deuxième édition d’EDF Pulse Africa. Vu de France, le signal envoyé est fort : le monde de la Tech devra compter sur l’Afrique et les différentes parties prenantes de l’écosystème sont prêtes à s’engager. Pourtant, malgré les perspectives offertes par une croissance démographique forte, l’émergence d’une classe moyenne, et le développement du mobile, l’Afrique peine à faire décoller son écosystème startup. Si certains pays tirent le développement par le haut, la dynamique globale ne touche pas encore tous les pays, notamment en terme d’investissement et de structuration d’écosystème. Pourtant, partout sur le continent, des projets voient le jour, avec pour ambition de répondre aux nombreux besoins existants. Des tendances aux freins en passant par le rôle des acteurs publics et privés, zoom sur un continent qui est en train de trouver son modèle.
Un écosystème startup africain très disparate
L’Afrique frétille et semble à l’aube de grands bouleversements. Un peu partout sur le continent se développent des pôles technologiques et de plus en plus de programmes d’accompagnements voient le jour. Les chiffres attestent que ce virage numérique est en cours. Une étude publiée par Partech début 2018, dénombre près de 560 millions de dollars levés par les startups africaines en 2017, soit 53% de plus que l’année 2016. Pourtant, ces investissements sont loin de représenter une même dynamique globale. Le Nigeria, l’Afrique du Sud et le Kenya absorbent à eux seuls 76% des fonds investis. L’Égypte contre toute attente représente 12% du classement, alors que seulement 10 % des investissements ont été réalisés par les startups francophones au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Rwanda, au Maroc et en Tunisie. Pour autant, la croissance d’investissement dans ces derniers pays est bien en croissance: en 2017, les pays francophones (Rwanda, Sénégal, Maroc, Cameroun et Tunisie) ont attiré 55 millions de dollars d’investissement, contre 37 millions en 2016 et seulement 6 millions en 2015.
Haweya Mohamed, directrice générale d’Afrobytes, premier hub digital dédié à la Tech africaine en Europe, explique que « les grands centres d’innovation anglophone comme la Silicon Savannah au Kenya dans la région de Nairobi, sont largement soutenus par les grands groupes américains. Microsoft, Google, Facebook ou encore IBM se sont implantés dans la région. Cela permet de créer un écosystème technologique vertueux, mais dont ne bénéficie pas encore directement le reste de l’Afrique »
Le paiement mobile: socle de développement des technologies
Les choses ont commencé à bouger sur le continent africain depuis une dizaine d’année. Le lancement de M-Pesa, un système de microfinancement et de transfert d’argent par téléphone mobile, lancé en 2007 a permis un premier socle important pour le développement de projets technologiques. Le service M-Pesa lancé par l’opérateur télécom Safaricom, initialement développé pour l’usage de remboursement de microcrédits, à connu un succès immédiat au Kenya. Rapidement, le service a été « détourné » par les utilisateurs pour payer des biens et des services et s’est transformé en véritable monnaie électronique. Aujourd’hui, près de 70% des adultes kenyans utilisent M-Pesa, alors que le taux d’obtention de compte bancaire est de moins de 40%. La preuve que les technologies mobiles et le digital ont permis d’offrir des services qui n’étaient jusque là pas offert par les banques aux populations les plus reculées. Aujourd’hui, plus de 40% du PIB du pays passerait par le système M-Pesa: transfert d’argent à la famille, paiement des factures d’eau et d’électricité paiement des frais scolaires et de santé, paiement des impôts…
Pour Haweya Mohamed d’Afrobytes: « Une des grandes tendances de l’économie africaine repose sur le fait que certains états comme le Rwanda, le Zimbabwe et la Somalie, sont maintenant « Cashless », c’est-à-dire que la plupart des échanges se font par transfert et paiement mobile. La monnaie est petit à petit en train de disparaitre. Sur certains domaines, comme le mobile ou la gestion de l’énergie, l’Afrique est très en avance et a beaucoup de choses à nous enseigner. On le voit notamment avec M-Pesa qui s’attaque maintenant au marché de l’Europe de l’Est ou encore M-Kopa qui a aussi développé une télévision solaire, qui dispose d’un potentiel marché bien plus large que le continent africain. Aujourd’hui, on ne peut pas parler de technologies en Afrique sans penser à la Blockchain ou encore aux Bitcoin qui agissent sur l’ensemble des domaines: e-commerce, services, énergie, construction, etc ».
L’accès à l’énergie offre des perspectives énormes pour les startups
Près de 600 millions d’Africains ne sont toujours pas reliés aux réseaux électriques nationaux. Au-delà de répondre aux besoins énergétiques élémentaires, un premier niveau d’accès à l’énergie favorise le développement économique, social, en permettant un meilleur accès à l’information, à l’éducation, à la santé et contribue par ricochet à l’émancipation des femmes. L’accès à l’eau et à l’énergie représente encore un enjeu mondial de premier ordre et dans le monde entier, les entrepreneurs se mobilisent pour y apporter des réponses viables et durables.
La startup française Sunna a ainsi créé une solution d’éclairage public dans les zones les plus reculée. Après avoir levé 7 millions d’euros fin 2017, la startup continue son développement avec un nouveau projet Moon qui propose des kits composés d’un système solaire et d’un smartphone pré-payé, permettant un accès à l’énergie et internet aux populations les plus isolées. Plusieurs centaines de familles au Sénégal utilisent déjà Moon. La startup Solstice, a développé une solution qui apporte de l’intelligence à la gestion de l’énergie solaire. La technologie permet de réaliser des économies, en contrôlant simultanément plusieurs sources d’alimentation. La startup ARED offre quand à elle des kiosques mobiles permettant aux habitants de recharger leur téléphone pour un prix dérisoire. Le système composé de deux panneaux solaires rétractables, se chargent par le soleil pour alimenter une batterie centrale de 40 watts, qui redistribue lde l’électricité à 16 chargeurs de téléphone. Dès que le soleil se couche, ou que le soleil ne permet pas de fournir de l’énergie, les batteries sont rechargées en pédalant.
EDF Pulse Africa met les startups africaines de l’énergie à l’honneur
L’année dernière, EDF a lancé la première édition de son célèbre concours de startup en Afrique, EDF Pulse Africa. Parmi les lauréats, la startup Kenyane Majik Water propose des générateurs alimentés par des panneaux solaires, qui permettent de transformer l’humidité de l’air en eau pure. La startup Ivoirienne Lono transforme des déchets organiques (déchets agricoles, déchets domestiques) en biogaz pouvant servir comme combustible de cuisson et/ou en biométhane pour la production d’électricité. La startup camerounaise Eduair souhaite quand a elle offrir un outil d’accès à l’éducation sans connexion internet. La box répertorie ainsi une base de données de milliers d’articles, cours vidéo (Mooc), ouvrages éducatifs, références de livres et de mémoires, cours magistraux et épreuves. Chacune des box contient également toute la bibliothèque de Wikipedia.
Vous êtes une startup africaine spécialisée dans le domaine des usages et services de l’électricité, accès à l’eau ou production off-grid ? Candidatez à la 2ème édition des Prix EDF Pulse Africa jusqu’au 1er Août 2018
Concernant l’enjeu de l’éducation, Haweya complète « Près de 30% des MOOC consommés dans le monde sont consommés en Afrique, alors même que le taux de couverture est très mauvais. Pour que l’écosystème Tech et startup décolle en Afrique, il y a un grand enjeu de connexion. Sur le continent, les zones littorales sont relativement bien couvertes, mais les terres sont encore peu connectées. » L’éducation est un enjeu central dans le développement du continent. Pourtant la majorité des dispositifs de formation ne répondent plus à la demande du marché, que ce soit en termes de volume ou de types d’enseignement. Au Nigéria par exemple, la demande pour les études supérieures est largement supérieure à l’offre. Les infrastructures universitaires sont restées inchangées depuis des années, alors que la croissance démographique a explosé. Face à ce postulat, la BAU university, a vu le jour, afin d’offrir aux étudiants en demande des formations. Cette université numérique est maintenant la plus grande université numérique au monde, avec près de 8000 étudiants.
Comment éduquer à l’entrepreneuriat et accompagner les entrepreneurs ?
makesense est une communauté internationale qui connecte des citoyens engagés, des entrepreneurs et des organisations pour résoudre des problèmes sociaux. Memba Souaré qui dirige le programme d’accompagnement depuis Dakar, pour l’Afrique de l’Ouest précise que « l’écosystème des startups au Sénégal et dans la sous-région ouest-africaine se développe lentement. Aux difficultés classiques rencontrées par tous les entrepreneurs, s’ajoutent en Afrique des blocages socioculturels et une lourdeur administrative dissuasive. Il existe une forte pression familiale et sociale sur les jeunes diplômés. Culturellement, si l’on t’envoie à l’école, c’est pour trouver du travail à la fin de tes études, se sécuriser financièrement et aider sa famille à faire face aux besoins quotidiens. L’entrepreneuriat n’est pas valorisé, car il ne génère pas de sécurité financière à court terme. Pourtant, les formations supérieures ne répondent plus au besoin des secteurs pourvoyeurs d’emplois, car elles sont restées inchangées depuis des décennies et surtout, elles ne sont pas conçues pour former des entrepreneurs. »
Selon lui, seules les initiatives privées favorisent vraiment l’entrepreneuriat en accompagnant les entrepreneurs sur le terrain et en mobilisant les communautés de citoyens. « C’est ce que nous faisons avec makesense au Sénégal et dans le monde à travers des programmes comme « Energy for Climate« . Développé en partenariat avec EDF, Energy for Climate mobilise la société civile autour de projets qui permettent de générer de l’énergie à faible impact écologique. Cela permet d’offrir aux porteurs de projets et entrepreneurs des ressources et outils pour faire avancer les projets qui répondent aux enjeux de notre époque, et de distiller la culture entrepreneuriale dans la société. »
Dans quinze ans, le continent aura la première population active, devant l’Inde et la Chine, et une classe moyenne de près de 900 millions de personnes
En Afrique, plus qu’ailleurs, les besoins minimums étant loin d’être tous résolus, l’entrepreneuriat revêt souvent un caractère de nécessité. Haweya Mohamed d’Afrobytes confirme : « Le marché du travail offre peu de perspectives, on trouve des entrepreneurs de plus en plus jeunes qui mettent en place des projets très créatifs, pour répondre à des besoins primaires. Comme il y a très peu d’accès au financement, ils sont souvent obligés de créer des business qui ont une traction immédiate. C’est une des spécificités du continent africain : les startups sont très frugales et elles adressent des problématiques qui ont directement des répercussions sociales fortes. En 2050, près de 2 milliards de personnes vivront sur le continent africain. Les gouvernements n’auront pas le temps et les moyens de mener tous les chantiers nécessaires. Il faut que les initiatives privées complètent les initiatives publiques. Et pour ce faire, il faut impérativement s’appuyer sur les entrepreneurs africains. »
La difficile question du financement des startups africaines
« D’un point de vue administratif et structurel, il n’y a pas suffisamment de synergies entre les différentes parties prenantes de l’écosystème entrepreneurial. Les gouvernements, les acteurs fédérateurs comme la banque mondiale ou la banque africaine de Développement et les acteurs locaux ne collaborent pas suffisamment ensemble. Il existe des dispositifs pour les startups, mais dans les faits, peu ont accès à ces financements. Les critères sont inadaptés aux réalités du terrain », raconte Memba Souaré de makesense. La confiance reste encore à construire avec les différentes parties prenantes comme les banques et les gouvernements sont encore globalement peu concernés par le sujet de l’entrepreneuriat. Le président du Kenya a par exemple pris connaissance de l’existence du Hi Hub, l’incubateur technologique de Nairobi et référence dans tout le continent, par un article de presse. Aujourd’hui le gros challenge pour le continent relève aussi d’un effet de communication permettant de promouvoir et diffuser les initiatives.
Au delà, pour que les projets entrepreneuriaux puissent se développer, l’accès au financement reste une problématique majeure. Les banques africaines ne savent pas ce qu’est une startup, et restent très réfractaires aux risques. Partout dans le monde, les financements dédiés aux startups proviennent majoritairement de 3 sources : Les business angels, les banques et les fonds d’investissement, majoritairement financés par les entreprises et les Family office. Un système complété par les États qui mettent en place des subventions et des dispositifs de subvention supplémentaires. En Afrique, où les business Angels et les fonds de capitaux risque se comptent sur les doigts d’une main, les startups partent de loin. Du côté des business angels, les entrepreneurs africains ayant jusqu’ici réussi font souvent partie d’une génération qui ne perçoit pas toujours la valeur technologique, et donc qui ne réinvestissent pas dans l’innovation.
Alors que les incubateurs de startups étaient une dizaine en 2010, la banque mondiale en a récemment recensé 443 sur le continent africain
Même constat du côté des grandes entreprises locales, qui continuent d’internaliser le développement de leurs innovations, et de fait collaborent peu avec les startups. Les pouvoirs publics quant à eux, sont encore nombreux à ne pas bien saisir l’enjeu que représente les nouvelles technologies pour le développement économique et social de leur pays. Pourtant certains états font preuve d’une réelle volonté politique, comme le Rwanda avec Paul Kagamé qui a présente dans son projet Vision 2020, un plan pour devenir un pays à revenu intermédiaire en sautant la phase d’industrialisation. Pour d’autres états, le numérique est encore considéré comme un mal à abdiquer. Le Cameroun anglophone subit depuis plus d’un an de nombreuses coupures internet, certaines pouvant durer plusieurs mois. Une plainte a même été déposée en janvier par l’ONG camerounaise Redhac (Réseau de Défenseurs des Droits Humains de l’Afrique Centrale) contre l’État camerounais devant le Conseil constitutionnel.
Si la situation est disparate sur le continent, et qu’il persiste des freins culturels importants, les choses avancent toutefois dans le bon sens. Alors que les incubateurs de startup étaient une dizaine en 2010, la banque mondiale en a récemment recensé 443 sur le continent.
Côté investissement, des petits fonds d’investissement voient le jour, comme Teranga Capital au Sénégal, doté de 6 millions d’euros. En juin 2017, Orange a annoncé la création d’un fonds doté de 50 millions d’euros dédié aux startups africaines. Partech se lance avec une première enveloppe de 57 millions, avec pour projet de rapidement passer à 100 millions. Les réseaux de business Angels aussi s’organisent. Après l’Afrique du Sud, le Nigeria et le Kenya, l’Afrique francophone commence à voir émerger des entrepreneurs souhaitant investir argent et compétences dans les startups locales. Le réseau panafricain ABAN dénombre 64 réseaux en Afrique, dont 22 dans des pays francophones. Le financement participatif commence aussi à se développer, notamment au travers de plateformes de Crowdfunding et de Crowdlending. Ainsi, la startup Faso Soap, un projet de savon antipaludéen a ainsi pu lever 71 000 euros.
Les organismes de développement sont aussi engagés dans la dynamique. La banque africaine de développement et la banque européenne mettent en place de nombreuses initiatives en faveur de la jeunesse et donc pour l’entrepreneuriat. L’Agence française de développement a créé Afrique Innovation, un programme permettant de prêter aux entrepreneurs entre 10 000 et 30 000 euros à taux zéro. La Banque mondiale a lancé son incubateur XL Africa, qui devrait accompagner et financer près de 20 startups.
L’appui d’initiatives privées indispensable
Pour Haweya Mohamed, l’Afrique représente une opportunité que les entreprises internationales doivent impérativement saisir. Dans quinze ans, le continent aura la première population active, devant l’Inde et la Chine, et une classe moyenne de près de 900 millions de personnes. « Avec Afrobytes, nous accompagnons les grands groupes à regarder les initiatives et à s’entourer d’entrepreneurs locaux lorsqu’ils souhaitent se développer en Afrique.Cette année par exemple nous accompagnons les équipes d’EDF Pulse Africa pour la seconde édition du Prix EDF Pulse Africa. Nous attendons plus de 200 candidatures en provenance de tout le continent. Les entrepreneurs africains représentent une fabuleuse porte d’entrée pour comprendre les enjeux territoriaux et s’imprégner de la culture locale. Il faut construire autour des groupes un écosystème de startups pour déployer, renforcer et accélérer leur stratégie sur le continent. Pour les entrepreneurs, collaborer avec un grand groupe permet de donner une plus grande résonance à son projet, notamment auprès des pouvoirs publics », estime-t-elle.
Des concours émergent aussi, avec pour objectifs d’accompagner les projets entrepreneuriaux, sur la partie structuration, financement et communication. Le concours Innovation Prize for Africa, le programme de la fondation Tony Elumelu, le prix Orange de l’entrepreneur social ou encore le concours EDF Pulse Africa, permettent de développer à la fois la visibilité des projets entrepreneuriaux, et de les accompagner sur les questions structurelles et financières.
Valérie Levkov, directrice Afrique & Moyen-Orient d’EDF précise: « EDF s’intéresse aux perspectives incroyables qu’offre le continent africain. Nous organisions le concours EDF Pulse depuis plusieurs années en Europe, et nous constatons quotidiennement la force des entrepreneurs à créer des innovations structurantes dans le domaine de l’énergie, particulièrement pour répondre aux enjeux climatiques. Cela nous pousse à innover conjointement avec les startups pour proposer de nouvelles solutions et services à nos clients. Sur le continent africain, les entrepreneurs répondent à des besoins énergétiques élémentaires de manière très créative et pragmatique. »
1001startups, partenaire EDF Pulse