Au début du mois de juin, nous vous expliquions que l’entreprenariat n’était pas pour tout le monde. Aujourd’hui, nous donnons la parole à deux entrepreneurs qui nous racontent leur vie après le grand groupe, qu’il n’avait pas prévu de quitter, et après lequel ils ont dû se réinventer. Leur quotidien se déroule maintenant sous le signe de la création d’entreprise, et pour rien au monde ils ne reviendraient en arrière.
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Je suis venue te dire que je m’en vais
Ils pensaient faire toute leur carrière au sein d’un grand groupe, mais que nenni !
Johanna Gomel, 42 ans, fondatrice de La Kidzerie, un Vinted haut de gamme dans l’univers de l’enfant, a longtemps été fiscaliste d’entreprise pour Veolia puis Carrefour. Grosse boite, gros horaires, grosses équipes, la vie en grand groupe lui sourit et lui permet de s’épanouir. « A l’époque, cela me correspondait, j’étais prises dans l’engrenage, j’étais animée par l’envie de gravir les échelons, et ressentais une certaine fierté à ce que les équipes dépendent de mon expertise. » Au fil du temps, le métier devient de plus en plus technique, plus pesant, et la jeune femme commence à s’essouffler.
Peu à peu, ses centres d’intérêt changent, elle prend le virage de l’écologie et se questionne beaucoup : comment changer nos habitudes de consommation ? Réduire son empreinte carbone ? « En parallèle, je tombe enceinte, et cela remet aussi beaucoup de choses en cause ! Gravir les échelons, oui, mais pourquoi ? Mes perspectives changent radicalement. Faire de la croissance, du chiffre, cela n’a alors plus de sens pour moi… »
Alors que ses pensées massèrent, Johanna se met à chiner les affaires de son futur enfant, avec l’envie d’être en accord avec ses convictions : n’acheter que de la seconde main et des produits exempts de produits toxiques. Sur Internet, elle ne trouve pas ce qu’elle cherche, est déçue par l’offre. L’idée de lancer sa boite commence à lui trotter dans la tête.
Mes perspectives changent radicalement. Faire de la croissance, du chiffre, cela n’a plus de sens pour moi
A la fin de son congé mat’, elle retourne chez Carrefour, mais le cœur n’y est plus. Son idée de création d’entreprise ne la quitte pas. Alors qu’elle se demande comment préparer sa sortie, les étoiles s’alignent : le groupe annonce un plan de départ, et Johanna saute sur l’occasion…
Pour Pierre Layet, 34 ans, fondateur de Paris Mystères, une application de jeu de piste, l’histoire est un peu différente… Le jeune homme s’est construit une solide carrière chez Cisco, où il passe près de 12 ans. Alors qu’il cartonne à son dernier poste de Scrum Master, la société annonce en 2017 qu’elle ferme son service et doit mettre 300 personnes à la porte. Grâce aux accords de licenciement, le jeune homme se fait financer une formation en marketing digital chez Wydden, et poursuit un MBA à l’Essec où il se spécialise en entrepreneuriat. Son intuition lui souffle que le moment est venu de se lancer.
Car depuis quelques années, Pierre travaillait sur son temps libre avec deux amis sur la création d’une application mobile. « On faisait ça juste pour s’amuser, sans faire de la pub ou bosser ni le marketing ni les réseaux sociaux, et on a réalisé que l’app était quand même trouvée, téléchargée et essayée… » Après son licenciement, Pierre travaille quelques mois chez Soft Bank Robotics, le temps de reprendre ses esprits puis de claquer la porte pour donner une chance à son projet. Ses deux amis ne le suivent pas, mais qu’importe !
Reconversion professionnelle, ma vie après le grand groupe
Immédiatement après son départ de chez Carrefour en octobre dernier, Johanna se met à plancher sur son idée. Le plan de départ dont elle bénéficie dans le cadre de sa reconversion professionnelle lui permet de s’appuyer sur l’aide de cabinets de conseil. Elle décide de se former aux compétences qui lui font défaut pour mener à bien son projet, à commencer par le web marketing, qu’elle apprivoise notamment lors de la formation proposée chez Wydden.
La jeune femme rallie aussi à son projet des spécialistes des réseaux sociaux et une illustratrice pour peaufiner son univers et son image de marque. « J’ai été très déçue par les places de marché dédiées au free-lance, donc avec le temps j’ai finalement misé sur mes amis, et les amis de mes amis… J’ai eu la chance de tomber sur des personnes à la fois très compétentes et hyper fiables, parfois d’autres jeunes mamans qui croyaient en mon projet et comprenaient tout de suite où je voulais aller… »
Ce qui porte Johanna, c’est aussi d’avoir déjà eu un petit pied dans l’entreprenariat, après avoir observé de près son père et son frère travailler à leur compte. « J’avais un peu la mentalité entrepreneur, je savais ce que c’était, je savais que j’en étais capable », sourit la jeune femme.
Et le bilan est positif, et beaucoup de chose ont changé dans sa vie, à commencer par un accroissement du stress et de l’impression de solitude. « Je me pose tous les jours un milliard de question : prendre un associé? Repousser la date de lancement du site…? J’avais pourtant avant un poste à haute responsabilité, mais cela n’était absolument pas comparable avec ce que je vis aujourd’hui. »
Si Johanna a dû apprendre à se remettre constamment en question, elle se déclare très satisfaite de sa situation, qui lui a apporté plus de liberté et d’autonomie. Et observe aussi avec un certain étonnement que son statut social a aussi changé. « Avant, j’avais un poste et un titre clair, je me sentais légitime. En tant qu’entrepreneur, il est très dur de se représenter comme telle aux yeux des autres tant que l’on a pas encore fait ses preuves, et on ne sait jamais vraiment quand cela se réalisera… Je ne regrette rien, mais je conçois que cela soit un peu dur à vivre pour certains, et il vaut mieux y être préparé! «
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De son côté, Pierre travaille à temps plein sur son application et recherche activement un associé. Pour ne pas s’isoler, il travaille en coworking. « Ma nouvelle vie d’entrepreneur a changé pas mal de chose… Elle me donne la flexibilité dont j’ai besoin pour mener de front mon MBA, mon projet, et l’éducation de mes 3 enfants. »
Si le jeune homme est maître de son emploi du temps, il travaille cependant bien plus qu’avant, pour s’améliorer dans des disciplines très éloignées de son ancien secteur. Pour développer son application, Pierre se doit de mieux maitriser certains outils et techniques, et le jeune homme n’hésite pas à creuser de nouvelles thématiques : découvrir les leviers du web marketing, maitriser ses réseaux sociaux, développer une communauté…
Toutefois, la formule lui convient. « J’ai le sentiment de mener une vie plus équilibrée. Je me mets beaucoup de pression, je suis très exigeant envers moi-même. Mais le matin, je me lève, et j’ai envie d’y aller, d’accomplir des choses, et ça, cela change complètement la donne… »
J’ai le sentiment de mener une vie plus équilibrée
L’idée ne les avait pas effleurée, et pourtant…
Si les évènements les ont fait dévier d’un chemin qui semblait tout tracé, Johanna et Pierre ont tranquillement réussi leur reconversion, aux prix de beaucoup de travail et de l’apprentissage de nouvelles compétences.
Oui, il y a une vie après le grand groupe, elle est même plutôt chouette.
Crédit photo : Kyle Glenn on Unsplash
