Ethiopie, la fièvre startup gagne (lentement) le pays.

ethiopie startup revolution
La capitale de l’Éthiopie abrite un nombre croissant de startups qui s’attèlent à moderniser le tissu entrepreneurial d’un pays qui regarde résolument vers l’avenir. Mais les obstacles restent nombreux. Reportage à Addis-Abeba.
• Par Daphnée Breytenbach et Marine Courtade
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C’est dans un quartier d’affaires sens dessus dessous où tout semble en travaux que Feleg Tsegaye a posé ses bagages. À 28 ans, ce jeune américain d’origine éthiopienne a choisi de renouer avec ses racines en venant créer à Addis-Abeba une startup à l’ambition audacieuse : faire de la livraison de repas à domicile dans une ville qui ne possède pas d’adresses. « Nous sommes partis du constat que le pays se développait à toute allure et que bientôt, les gens allaient vouloir avoir accès à des services plus modernes qui leur simplifierait la vie », note Feleg. Depuis 4 ans, l’entrepreneur s’efforce donc d’inventer les solutions adéquates pour développer la société qu’il a nommée Deliver Addis. Le tout à moindre frais : seulement 200 dollars pour le marketing, parce que « le bouche à oreille, dans cette ville, c’est ce qui fonctionne le mieux ».

« Nous avons une dizaine de livreurs qui sillonnent la ville en scooter, et près de vingt restaurants partenaires. L’idée, c’est de pouvoir avoir facilement accès à des plats variés, que l’on soit chez soi ou sur son lieu de travail ». Au menu : gastronomie italienne, asiatique, libanaise ou burgers. Étonnamment, sur la carte, aucun plat éthiopien. Feleg le reconnait : « Les “locaux” ne sont pas nombreux dans notre clientèle. Pour l’instant, ce sont plutôt les expatriés installés ici qui font appel à nos services, ou bien les personnes qui ont vécu à l’étranger. Mais on espère que ça évoluera rapidement. »

Ethiopie startup développement
Feleg Tsegaye, le fondateur de Deliver Addis

 

Cette évolution, pourtant, s’annonce semée d’embuches. L’application, qui fonctionne via une connexion Internet, est très fréquemment paralysée par les coupures de réseau. Depuis l’instauration de l’état d’urgence par le gouvernement (à la suite des affrontements ethniques entre les Oromos et les dirigeants du pays, NDLR) Facebook ne fonctionne plus et la toile éthiopienne subit des interruptions de plusieurs jours, parfois même de plusieurs semaines. « Évidemment, pour nous, c’est une catastrophe, car il ne nous reste que le téléphone pour recevoir les commandes, » regrette Feleg Tsegaye. « Mais ça ne suffit pas à nous décourager! Je reste persuadé que ce pays continuera à aller de l’avant et que les services à la personne tel que Deliver Addis représentent l’avenir. »

Favoriser l’émergence de nouvelles startups

Le développement du pays est en effet frappant : avec environ 10 % de croissance par an ces dix dernières années, l’Éthiopie attire un nombre croissant d’investisseurs décidé à se positionner sur ce marché de 90 millions de consommateurs, en deuxième position sur le continent après le Nigéria. Si les nouvelles technologies font figure d’eldorado encore inexploité, ils sont de plus en plus nombreux à surfer sur cette vague balbutiante. L’exemple de l’incubateur de startups Ice Addis est, à ce titre, édifiant. Niché au troisième étage d’un immeuble moderne, c’est dans un open space à l’atmosphère juvénile que de jeunes entrepreneurs viennent ici pour quelques semaines ou quelques mois, afin de développer leurs projets. Markos Lemma, le confondateur de ce lieu totalement innovant dans le paysage éthiopien, l’affirme : « Le futur s’écrit ici. »

« Notre problème, c’est que nous ne recevons aucune aide de la part de l’État. Nos fonds viennent en majorité de certaines fondations étrangères. » – Teddy

En ce moment, cinq startups sont hébergées à Ice Addis. Une étape essentielle de leur évolution. « Les autorités exigent des jeunes créateurs d’entreprises qu’ils aient des bureaux, ce qui est inaccessible pour la plupart d’entre eux », détaille Markos. Le projet, conçu lorsqu’il était toujours étudiant et en partenariat avec l’université, a depuis dépassé ses attentes. « Créer sa société n’est pas très courant en Éthiopie, mais beaucoup de jeunes s’y mettent. Pas besoin d’être dans la Silicon Valley pour réussir ! Il suffit d’un ordinateur et d’un accès à Internet. C’est ce que nous leur offrons, en leur proposant aussi une vraie période de coaching et d’accompagnement sur mesure. »

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Chez Ice Addis, le travail collaboratif est une valeur forte

 

Son crédo ? S’adresser non pas seulement à un public urbain et favorisé, mais accompagner l’invention de techniques nouvelles qui aideront et amélioreront le quotidien des régions rurales encore très pauvres. Il y a par exemple cette application d’informations professionnelles à destination des apiculteurs, qui leur sert à maximiser les profits. Il y a aussi cette jeune société décidée à doter chaque maison d’Addis-Abeba d’une adresse, en fonction de la latitude, de la longitude et du numéro d’achat du bien, le tout pour mettre à disposition des entreprises ce fichier. « Nous essayons d’accueillir ici des startups très différentes les unes des autres. Utiliser les nouvelles technologies pour promouvoir le développement du pays nous parait essentiel », insiste Markos Lemma.

Un gouvernement réticent

Et pour cause : dans un pays où à peine plus d’1 % de la population a accès à Internet et où seul un éthiopien sur trois possède un téléphone, tout reste à faire. Cette ambition, Teddy Tadesse Araya l’a chevillée au corps depuis 2012, l’année de la création d’X-Hub, le deuxième incubateur du genre dans la mégapole. C’est au dernier étage d’un mall de luxe du quartier huppé de Bole qu’il s’est installé. Ici, les boutiques flambant neuves côtoient des restaurants fast-food version américaine où la jeunesse dorée vient partager un milk-shake ou un sandwich à la saveur résolument plus occidentale qu’éthiopienne. Les locaux de X-Hub, quant à eux, sont sobres mais fonctionnels. Tout est fait pour que les jeunes entrepreneurs puissent y travailler confortablement. En prime, une grande terrasse avec vue sur les nouveaux buildings fait office de coin fumeurs et d’espace de réception pour les grandes occasions.

« Notre problème, confie Teddy, c’est que nous ne recevons aucune aide de la part de l’État. Nos fonds viennent en majorité de certaines fondations étrangères. Alors, afin de continuer à incuber, on doit utiliser une partie du local pour faire du coworking, moyennent un petit loyer. » Il l’assure : le gouvernement ne fait pas assez pour promouvoir ces initiatives nouvelles. S’il existe une volonté de développer le secteur des nouvelles technologies, avec notamment 70 % des étudiants inscrits dans les filières scientifiques à l’université, la bureaucratie éthiopienne reste un obstacle dissuasif. « Créer son entreprise ici, c’est un peu le parcours du combattant », se désole Teddy. « Sans parler des levées de fonds. Les investisseurs locaux sont trop frileux et on impose des restrictions inouïes à ceux qui viennent de l’étranger. Résultat, les choses avacance lentement, trop lentement. »

Ethiopie startup innovation
Markos Lemma (droite), confondateur d’IceAddis, pose avec l’un des incubés

 

Cet état de fait met en colère le fondateur d’X-Hub. « Les politiques ne comprennent pas que nous sommes essentiels. Ils supportent les grands projets mais ne s’intéressent pas aux incubateurs. Au lieu d’aller chercher des solutions à l’extérieur, il faut stimuler la créativité éthiopienne, pousser la jeunesse à inventer des réponses originales. Arrêtons de faire de l’humanitaire, l’avenir est dans les entreprises, c’est ce qui redonnera de la fierté aux gens. C’est un cercle vertueux : plus on encourage, plus on avance tous ensemble dans la bonne direction. D’autant qu’avec le taux de chômage et le nombre de jeunes diplômés, il y a largement la place pour entreprendre et innover. » À l’avenir, X-Hub compte bien continuer à aider ces nouvelles sociétés. Pour Teddy, c’est une évidence : « Avec un peu d’argent, il est possible d’exploiter magnifiquement ce marché en pleine expansion. Mais la route est encore longue. »

• Tous propos recueillis par DB et MC. Photos Daphnée Breytenbach.

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