La levée de fonds est encore aujourd’hui le moyen privilégié des startups pour financer leur croissance. Du fait d’un nombre croissant de créations de startups et d’une certaine maturité de l’écosystème Français, la levée de fonds a, semble t’il, explosé cette dernière année. Pour autant, derrière une forte augmentation en valeur, le volume de deal n’a pas augmenté aussi fortement. Lever des fonds pour une startup reste difficile, et même s’il est confortable de croire à l’effet Techcrunch (penser que lever des fonds est un jeu d’enfant au vu de toutes les levées annoncées dans la presse), il est préférable de bien se préparer pour réussir! À l’occasion de la sortie du livre « Lever des fonds, comprendre et maîtriser », nous avons posé quelques questions à Xavier Milin sur les best practices et les principales erreurs des startups dans les process de levée de fonds.
Quelles sont les 3 choses indispensables à savoir pour une startup qui s’engage dans une levée de fonds?
Xavier Milin: « La première chose, lorsqu’on cherche des fonds, c’est de bien définir quel est le montant à lever. On croise (beaucoup!) trop d’entrepreneurs qui partent en levée de fonds sans avoir clairement identifié leur besoin. Parfois, les entrepreneurs voient trop haut en termes de fonds à lever, et contrairement à ce que l’on pense, lever plus que nécessaire est pas toujours bénéfique. Les investisseurs voient souvent d’un mauvais oeil (et à juste titre!) que l’argent qu’ils ont apporté pour financer la croissance de l’entreprise soit finalement « épargné » par les startups. À l’inverse, parfois les entrepreneurs sous-estiment la moitié des fonds nécessaires. Dans ce deuxième cas, c’est souvent l’investisseur qui le remarque…. ce qui n’est pas très favorable pour la crédibilité de l’entrepreneur. Le calcul de la somme s’avère plus stratégique qu’il n’y paraît et constitue, selon moi, la base pour s’engager dans un process de levée de fonds.
Le second impératif est de bien identifier la cible des investisseurs dont on veut solliciter l’intérêt. Les entrepreneurs peuvent avoir tendance à partir dans tous les sens, frapper à toutes les portes, ce qui s’avère être très consommateur de temps et totalement inefficace. Pour identifier les bons interlocuteurs, il faut impérativement tenir compte des besoins, de l’état d’avancement du projet et du secteur d’activité.
Les entrepreneurs doivent accorder moins d’importance à la valorisation, et plus à la négociation des clauses sensibles.
La troisième chose à savoir, c’est dire « NON ». Cela peut être perçu comme un véritable luxe de pouvoir refuser des investisseurs, j’en conviens. Mais cela me semble un point essentiel, en particulier lorsqu’un entrepreneur commence ses premières levées. De la même manière que les investisseurs vont faire ce que l’on appelle des « dues diligences », c’est à dire un audit plus ou moins poussé de l’entreprise et son équipe, l’entrepreneur doit également se renseigner sur les investisseurs avec lesquels il discute. Il n’y a pas de honte à demander des prises de référence et c’est même un gage de sérieux à mon avis. »
Quel est le point commun des entrepreneurs qui réussissent leur levée de fonds?
« Tout d’abord, ils ont tenu compte des points que je viens de mentionner ! Mais ce qui prime surtout, c’est qu’ils ont réussi à convaincre des investisseurs que leur entreprise avait du potentiel, un avenir, et que les fonds seront dépensés dans le cadre d’une évolution significative du business. Ils ont aussi réussi à convaincre sur l’équipe, sur le fait qu’elle soit solide, adaptée aux challenges à relever et de confiance. C’est très important. »
Quelle erreur est la plus souvent faite par les startups qui cherchent à lever des fonds?
« Dans le cadre d’une levée de fonds, on peut commettre de nombreuses erreurs. Frapper à la mauvaise porte, être mal accompagné, ne pas comprendre comment fonctionne un investisseur, etc. Mais l’erreur la plus nocive dans le cadre d’une levée de fonds est sans aucun doute lorsque les négociations sont focalisées sur la valorisation de l’entreprise.
Évidemment, l’effet de dilution est un vrai sujet, et il ne faut pas accepter n’importe quoi. Mais il est nécessaire que l’entrepreneur comprenne, que lorsqu’il signera une lettre d’intention et plus tard un pacte d’actionnaires (ce que je lui souhaite), il sera engagé sur nettement plus de sujets que la valorisation. Et certains d’entre eux peuvent avoir des conséquences beaucoup plus lourdes sur les relations à venir avec les investisseurs, et notamment sur l’avenir de l’entrepreneur au sein de son entreprise.
Le « bad leaver » par exemple va définir les conditions du départ de l’entrepreneur en cas de situation difficile. Si cette clause n’est pas bien négociée, elle peut contraindre le fondateur à quitter la startup qu’il a fondée. Cette clause n’est qu’un exemple, il y en a beaucoup d’autres.
Il faut que les entrepreneurs accordent moins d’importance à la valorisation, et plus à la négociation des clauses sensibles. D’ailleurs, les investisseurs dignes de ce nom ne voient pas souvent d’un bon œil les entrepreneurs qui ne négocient pas de manière forte les autres clauses. Cela peut en effet être inquiétant qu’un entrepreneur ne prenne pas suffisamment de recul et donc à terme, qu’il n’est pas la capacité à négocier au quotidien pour l’entreprise en défendant ses intérêts. »
Comment s’assurer que la relation post levée de fonds se déroule au mieux?
« Le terme « relation » résume bien le propos. Dans une relation, on est au moins deux! Un investissement dans une startup, c’est le fruit d’une rencontre entre plusieurs parties qui ont, au départ du moins, un objectif commun : faire de la startup un succès. Pour que tout se passe bien, TOUTES les parties doivent faire un effort. Un pacte d’actionnaire bien structuré permettra déjà d’éviter un certain nombre de malentendus, mais ce n’est que dans l’exécution que l’on peut voir si une levée de fonds se passe bien…
L’entrepreneur qui n’a pas forcément l’habitude, va devoir apprendre à fonctionner avec un board avec lequel il va devoir apprendre à partager les informations et respecter de nouvelles règles. Il doit aussi intégrer le fait que les fonds levés ne sont pas son argent, et ne font pas de lui une personne riche. La fortune éventuelle personnelle ne vient qu’à la cession de ses parts, il faut savoir garder la tête froide! »
Sur les fonds VC que je côtoie, on est sur une moyenne de 7 dossiers investis par an pour 1500 dossiers reçus.
« De leur côté, les investisseurs doivent savoir accompagner l’entrepreneur, lui ouvrir les bonnes portes, le guider sur des sujets qu’il ne connaît pas encore. Ils doivent aussi tenir une ligne de conduite claire et conforme à leurs engagements premiers. Enfin ils doivent se montrer à l’écoute et détecter les signaux faibles pour anticiper sur les éventuelles difficultés à venir.
On sait bien que les relations vont se tendre à partir du moment où les chiffres attendus ne sont pas au rendez-vous par exemple, si cela n’est pas expliqué de manière rationnelle par l’entrepreneur. Les discussions autour de nouveaux rounds d’investissement donnent aussi lieu à des tensions parfois. C’est normal. Mais d’une manière générale, lorsque les deux parties sont de bonne foi, sont favorables à l’échange et à la transparence, alors la relation peut être un moteur. »
Est-ce que la multiplication du nombre de startups (et des fonds disponibles) a changé les attentes, les exigences, les règles de la levée de fonds?
« Le boom de la Startup Nation a suscité de nombreuses envies et il est vrai que l’on voit de plus en plus de profils créer des entreprises, et ensuite chercher des fonds. J’essaye de mettre en garde les nouveaux entrepreneurs sur le fait que l’on doit créer une entreprise lorsque l’on a identifié un réel besoin et un réel marché, et que la levée de fonds n’est qu’un moyen pour financer la croissance.
De leurs côtés, les fonds d’investissement reconnus sur la place ont en effet réussi à lever des sommes significatives ces derniers mois, ce qui est formidable. On voit aussi de nouveaux fonds de capital-risque arriver sur le marché, ce qui va renforcer les chances de financement. Cependant, n’oublions pas les chiffres!! Sur les fonds VC que je côtoie, on est sur une moyenne de 7 dossiers investis par an pour 1500 dossiers reçus. Pour les réseaux de Business Angels, on est sur un ratio moyen de 7 investissements pour 150 dossiers. Cela montre bien que le nombre d’élus reste encore assez faible!
On a pu, il est vrai, s’étonner de certains financements ces derniers mois dans l’écosystème. Mais il ne faut pas oublier que même si les fonds d’investissement ont plus d’argent, ils restent jugés sur leurs résultats et leur capacité à faire fructifier cet argent. Un VC qui dépenserait de manière incongrue les fonds qui lui sont confiés aurait alors énormément de difficultés à lever lui-même un nouveau fond d’investissement, et mettrait à terme la clé sous la porte. Le modèle des fonds les contraint à rester très exigeants dans leurs investissements, même s’ils ont plus d’argent à investir. »
Pour aller plus loin, découvrez le livre de Xavier Milin » Lever des fonds, comprendre et maitriser toutes les étapes »