Faut pas pousser mémé dans les ordis …

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Aujourd’hui, les plus de soixante ans représentent le quart de la population française et selon les estimations de l’Insee, ils devraient constituer plus de 30% de la population nationale en 2030. Parmi eux, 43% ne disposent pas d’une connexion internet à leur domicile, et 40% seulement sont équipés d’un smartphone. Très loin des standards du reste de la population, suréquipé et ultra-connecté. Alors que le numérique s’immisce de plus en plus durablement dans les fonctionnements mêmes de nos sociétés, quels rapports entretiennent les plus âgés avec les technologies ?
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Guerrina Guiotto, 76 ans, le reconnaît bien volontiers : « la technologie ce n’est pas trop (s)on truc ». L’outil numérique, loué pour sa facilité et sa rapidité est utilisé dans la plupart de nos actions quotidiennes et cela de façon croissante. Les services publics et administration ont recours à l’utilisation du digital, celui-ci s’imposant progressivement à l’ensemble de la population.
« C’est vrai que moi ça me dépasse, je ne m’y intéresse peut-être pas assez aussi. Je pense vraiment que c’est l’avenir, c’est quelque chose d’inévitable. Je vois que dans mon entourage de plus en plus de personnes se servent d’internet. Même si l’on ne maîtrise pas l’outil aussi bien que les jeunes, je pense qu’il est important de se tenir au courant. Fréquemment, je rencontre des problèmes avec mon téléphone et lorsque je demande de l’aide, on a tendance à me régler le problème sans forcément m’expliquer. Je sais lire les emails, mais pas les envoyer. Il faudrait que je trouve des formations très basiques pour commencer ». Ce souhait de madame Guiotto semble aujourd’hui réalisable.

La fracture numérique générationnelle

L’avenir se veut de plus en plus numérique et l’Etat l’a bien compris en planifiant des investissements importants jusqu’en 2020 pour déployer le très haut débit sur le territoire. Mais quand est-il de la problématique des usages ? L’accélération de la dématérialisation de notre société engendre l’exclusion d’une partie de la population, soit parce qu’elle ne bénéficie pas des moyens de s’équiper convenablement, soit parce qu’elle ne maîtrise pas les fonctionnements de ces technologies. Ainsi, là où le numérique devrait simplifier les procédés, il les complexifie pour certains. Cette fracture numérique est surtout notable chez les plus de 75 ans, comme Guerrina Guiotto, qui n’ont pas eu l’occasion de se familiariser avec l’informatique au cours de leur parcours professionnel. Contrairement aux boomers, compris entre 60 et 75 ans, beaucoup plus connectés et à l’aise avec les technologies. La transition numérique est vécue brutalement par les seniors parce qu’ils doivent acquérir les codes numériques et un nouveau langage leur permettant la maîtrise des outils digitaux. La déshumanisation des services, le remplacement du guichet par l’interface, bousculent les habitudes d’une population qui se sent livrée à elle-même.

L’Etat, vivement critiqué sur ce sujet, s’est décidé à agir fin novembre 2016 en promettant un plan national « société numérique » porté par l’Agence du numérique. Ce plan prévoit notamment de soutenir les organismes de médiation numériques déjà en place en coordonnant leurs activités à l’échelle nationale et en leur apportant plus de visibilité. Heureusement, des organismes privés, comme Old’up, ont su apporter une réponse à la lutte contre l’exclusion numérique en mettant en place des ateliers d’apprentissage et de familiarisation avec les outils digitaux pour les populations seniors.

Vieillir activement en s’appuyant sur le numérique

L’association Old’up, créée par des personnes « plus si jeunes, mais pas si vieilles » en 2008, entend redonner un sens à la vie des aînés en leur permettant de vieillir activement et impliqués socialement. Sa fondatrice, Marie-Françoise Fuchs, explique : « je n’ai jamais rencontré autant de gens intéressants et aussi fréquemment que depuis que je suis vieille. C’est une richesse ». Parce que la retraite ne sonne pas la fin d’une vie, mais comme le commencement d’une nouvelle durant laquelle les personnes âgées bénéficient de plus de temps pour s’investir dans des projets à fort impact social, il est primordial de former cette population aux nouvelles technologies pour qu’elle puisse jouir de tous les outils à sa disposition. « Les seniors ont une meilleure estime d’eux lorsqu’ils se sentent utiles à la société et non pas comme une charge, précise Marie Françoise Fuchs, pour beaucoup de retraités, la santé n’est plus un frein pour avoir des projets, s’inscrire dans la société, et être utiles ». Redonner un rôle aux aînés passe notamment par l’enseignement des outils numériques leur permettant une autonomie et une liberté d’interaction au sein même de la société.

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Cette association a mis en place depuis 2012 des ateliers numériques encadrés par des étudiants à destination des personnes âgées. Pour Marie-Françoise Fuchs, « la première chose c’est de se remettre en état de fonctionnement, se remettre à échanger, réfléchir, être ensemble, pour retrouver l’envie de faire des choses et essayer de trouver une activité sociétale qui soit utile pour soi et pour les autres. Évidemment il faut pouvoir utiliser les outils de communication et le digital ». Au cours de ces formations dispensées la plupart du temps au sein d’EHPAD, des établissements réservés pour les personnes âgées dépendantes, les seniors apprennent à manipuler les outils numériques, à envoyer des mails, utiliser les réseaux sociaux pour rester en contact avec les membres de leur famille les plus éloignés, ou encore maîtriser les démarches administratives à distance. « On n’est pas très doué pour ça quand on a 80 ans et comme on n’a jamais l’occasion d’utiliser ces machines… Il faut un tout petit peu d’apprentissage, on a besoin d’une petite formation » explique-t-elle. Old’up est aussi un moyen d’éduquer avec douceur une population qui a parfois juste besoin d’un déclic pour comprendre les enjeux des nouvelles technologies. « Je crois que si l’on ne s’en sert pas quotidiennement, on oublie assez facilement la façon de faire, il faut donc entourer les personnes qui s’y mettent, » conclut Marie-Françoise.

Une évolution dans la perception du numérique et l’adaptation des outils

Certaines personnes âgées ont pris conscience de l’importance de maîtriser le numérique et montrent un plus grand intérêt à en apprendre les fonctionnements. À l’image de Monique Guyard, 75 ans, très à l’aise. « J’utilise internet tous les jours. Je m’en sers depuis un certain temps, je suis à la retraite depuis 15 ans et dès le début je me suis équipée. Je fais beaucoup de mail et de veille pour les informations. » Une progression qui doit beaucoup aux nouveaux supports numériques. « La tablette a énormément aidé à rendre accessible l’informatique par son aspect simple, léger et tactile, » estime Marie-Françoise Fuchs. Ce que vient appuyer Monique : « ma tablette ? Elle a l’avantage d’être pratique pour les mails et les prises de notes que je transfère ensuite. Je trouve ça très agréable, en plus des petits jeux et des applications ». La simplification de l’interface est primordiale dans la conception de produits adressés aux plus âgés.
Le vieillissement de la population a pour effet positif de remettre en question la conception des interfaces destinées au grand public. C’est en répondant aux exigences et difficultés des personnes âgées que les produits numériques feront l’objet d’une adaptation à la quasi-totalité de la population. Les produits et services doivent être imaginés pour une utilisation simple, ergonomique et intuitive afin de rendre le numérique accessible à tous, en répondant au principe directeur : « Design for old is design for all ».

Ces dix dernières années, un grand nombre de sociétés ont fait le choix de se lancer sur le marché très spécifique du numérique pour les seniors. Anisen, Tikeasy, Facilotab, Tabbya … ces entreprises proposent toutes des tablettes tactiles spécialement adaptées à une initiation aux usages d’internet. Les actions sont simplifiées, l’interface épurée, pour vraiment aller à l’essentiel. Ces produits répondent aux micro-handicaps qui surviennent avec l’âge : lenteur, problèmes de dextérité, affaiblissement des capacités visuelles et auditives. L’ergonomie cognitive de l’interface est surtout pensée pour des utilisateurs qui ne possèdent aucune compétence informatique. Quid alors des générations à venir de personnes âgées, beaucoup plus éduquées aux outils numériques et qui ne rencontreront certainement pas les mêmes besoins en termes d’ergonomie et d’usage? Les spécialistes des produits numériques du grand âge vont devoir réviser leur stratégie de développement pour continuer à exister.

Le numérique : une ressource supplémentaire face au vieillissement

Il faut le dire, le numérique constitue une ressource formidable pour lutter contre l’isolement des personnes âgées. Il peut favoriser le maintien d’activités autonomes malgré l’amoindrissement des capacités physiques et éviter certains soins. Soit autant de défis inhérents au vieillissement de la population annoncé. Ces axes de recherches stratégiques ont donné naissance à un nombre considérable de startups en gérontechnologies qui s’inscrivent dans une silver économie en plein développement. Lift Labs, racheté depuis par Google, a par exemple apporté une solution aux problèmes de tremblements subis par les personnes atteintes de la maladie de Parkinson en développant un couvert intelligent qui, muni de capteurs et d’un gyroscope, permet de rééquilibrer le basculement de la cuillère. Les plateformes numériques se révèlent être aussi des outils judicieux dans l’accompagnement face au vieillissement. Faciligo, startup fondée par Hind Emad, propose à travers une plateforme collaborative de faciliter les déplacements des personnes à mobilité réduite au sein des différents transports (train, voiture, tram, avion) en les mettant en relation avec des personnes effectuant le même trajet et souhaitant leur venir en aide, en contrepartie d’une réduction sur le prix de leur trajet. « Aujourd’hui, il y a 12 millions de seniors en France qui rencontrent des freins dans leur mobilité, soit pour des raisons financières soit parce qu’il n’existe pas de mesures d’accompagnement, » précise Hind. La startup a aussi su s’adapter aux personnes âgées non connectées, « certaines personnes âgées bénéficiant de nos services sont digitalisées, les autres ont des aidants, des mandataires qui effectuent la démarche pour eux. On a aussi des demandes par téléphone directement pour trouver des solutions sur des sujets bien précis ou des trajets très peu pratiqués notamment dans les zones rurales, » raconte Hind.

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Autre révolution du numérique, les objets connectés s’invitent également au domicile des personnes âgées et peuvent, dans certains cas, retarder les départs en maison médicalisée. Interrupteur connecté, sol connecté, pilulier connecté, chacun de ces produits est en capacité d’alerter les proches lorsque les appareils détectent une situation inhabituelle. Ils permettent de rassurer l’entourage familial sur l’état de santé de leurs aînés. Cependant ils posent plusieurs questions déontologiques. Peut-on considérer l’usage de ces objets comme une atteinte à la vie privée des personnes âgées ? Peuvent-ils remplacer l’humain dans toutes les situations ? Et finalement, ne risque-t-on pas de remplacer la dépendance à l’homme par une nouvelle dépendance à la machine et au numérique ?

En ayant grandi avec l’évolution de l’informatique et la digitalisation de la société, le rapport à l’objet numérique est beaucoup plus intuitif et découle d’une certaine logique d’utilisation, de codes numériques bien intégrés par l’individu. Malgré cette facilité d’adaptation évidente permise par l’apprentissage des codes et usages numériques primordiaux, il y a fort à parier que les « vieux de demain », nous, se sentiront également en décalage avec les avancées technologiques futures. Ainsi va la vie.

• Tous propos recueillis par AC.

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