En 2017, les Nations Unies comptabilisaient 258 millions de migrants internationaux, c’est-à-dire des personnes ayant quitté leur pays de naissance pour s’installer dans un pays différent. Bien qu’il ne s’agisse aujourd’hui que de moins de 4% de la population mondiale, leur nombre est en progression constante, et le nombre de réfugiés climatiques devrait exploser d’ici 2050. Le contexte géopolitique le prouve: il ne s’agit pas d’une « crise » mais bien d’un défi mondial pour lequel nous devons à la fois trouver des solutions et saisir les opportunités.
Techfugees est une association qui connecte l’écosystème Tech avec les personnes déplacées, notamment au travers de l’organisation de hackathons. Afin de mieux comprendre le sujet et les enjeux inhérents, nous avons rencontré Joanna Kirk, en charge de Techfugees France.
En quoi la technologie offre t-elle une réponse aux personnes déplacées ?
Joanna: La technologie ne peut pas tout résoudre, mais c’est un moyen d’aider. La très large majorité des personnes déplacées ont un téléphone mobile ou un smartphone et un accès à la 2G/3G. Via ces outils, la technologie devient le moyen pour ces personnes de rester en lien avec leurs proches, de se repérer, de s’informer sur leur pays d’accueil.
La technologie est un catalyseur d’inclusion qui peut faciliter l’accueil et l’installation. Il existe de nombreuse application, MOOCs et communautés qui permettent par exemple d’apprendre une langue, de suivre des cours à distance, de passer des équivalences de diplôme, de partager des passions communes ou encore mieux comprendre l’administration, etc. Les applications, les chatbots, l’utilisation de datas ou de blockchain permet aussi de faciliter la communication et la gestion d’ONG ou d’institutions.
Il existe un grand nombre de personnes qui souhaitent se mobiliser mais ne savent pas par où commencer
Plus généralement, le secteur tech est réputé plus ouvert à des talents internationaux, la langue de travail étant souvent l’anglais et les compétences davantage valorisées que les diplômes. C’est un secteur qui recrute et offre des opportunités pour se réorienter et reconstruire sa vie professionnelle en suivant par exemple une formation dans le code (Simplon, Konexio).
Mais l’apport va dans les deux sens. La diversité de parcours des personnes déplacées est également une richesse pour l’écosystème Tech. On voit des profils Tech ou entrepreneuriaux très créatif qui apportent aussi énormément à l’écosystème.
Quelles sont les innovations les plus significatives qui accompagnent les réfugiés?
Difficile de toutes les citer! En France nous avons pour l’apprentissage et le recrutement Wero, Konexio, Simplon avec RefuGeek, Toth ou encore Kiron. Meet My Mama ou Singa avec Calm travaillent aussi a développer le lien entre locaux et nouveaux arrivants.
Nous avons aussi des projets issus de nos Hackathons Techfugees comme Refuhelp, Rendez-vous des Champions ou Kabubu, Comprendre pour Apprendre (créé par Nour, un jeune réfugié Syrien en France), etc. A l’étranger aussi on retrouve des projets incroyables comme Tikk Talk, Integreat, Natakalam ou RediSchool.
25 projets innovants ont d’ailleurs été sélectionnés pour venir pitcher au Techfugees Global Summit à Station F le 26 octobre. Nous sommes toujours très à l’écoute de ce qu’il se passe dans d’autres pays car nous pouvons énormément apprendre des succès, mais aussi des échecs des uns et des autres pour les adapter aux spécificités locales.
Est ce que la mobilisation du monde de la tech s’est accrue avec l’accélération du flux migratoire?
Il n’y a pas de crise dans le sens ou les déplacements de population sont et vont rester un phénomène structurel, certainement accru par le changement climatique. Le problème, la « crise », vient de la réaction des états face à celui-ci. C’est sous le coup de l’émotion qu’est né Techfugees en septembre 2015 mais 3 ans plus tard, cette émotion est devenue un engagement durable de l’ecosystème tech qui prend sa part en construisant des solutions les plus durables possibles, notamment grâce à des partenariats de long terme.
La diversité de parcours des personnes déplacées est également une richesse pour l’écosystème Tech.
On vit dans un monde où la mobilisation autour d’une image devenue virale peut être extraordinaire – je pense à la photo du petit Aylan par exemple. Les réactions ont été vives. Même si aujourd’hui les réactions ne sont plus les mêmes, des mouvements comme Techfugees naissent aussi dans ce genre de contexte et se construisent ensuite dans la durée, avec de nouveaux acteurs et des défis sur le plus long terme. On voit aussi arriver de nouvelles façons de se mobiliser avec par exemple le développement de structures dites “hybrides”, qui permettent à des projets d’émerger sur la durée. C’est positif. Je constate qu’il existe un grand nombre de personnes qui souhaitent se mobiliser mais ne savent pas par où commencer.
Justement, quelles actions menez-vous avec Techfugees?
Techfugees est une structure internationale à but non-lucratif qui coordonne l’engagement de la communauté tech pour contribuer à construire des solutions technologiques avec les personnes déplacées et pour répondre à leurs besoins. Techfugees est présent dans 25 pays à travers le monde, dont la France, grâce à des volontaires et ambassadeurs rassemblés dans nos chapitres locaux.
Après la naissance du mouvement à l’initiative de Mike Butcher (TechCrunch) à Londres, nous avons suivi peu de temps après à Paris avec le lancement d’un tout premier Hackathon en mars 2016, qui a rassemblé 150 personnes provenant d’horizons très divers – entrepreneurs sociaux, ONG, ingénieurs, développeurs, hackers, réfugiés, étudiants, institutions, acteurs et influenceurs de l’écosystème Tech – autour du sujet central de la Technologie avec et pour les réfugiés. En près de 3 ans, près de 18 000 innovateurs se sont rassemblés sur les réseaux sociaux et à l’occasion d’une centaine d’événements à travers le monde dont plus de 30 hackathons et un sommet international annuel. Cette année, nous avons lancé en France un programme pilote de « fellowship #TF4Women » pour favoriser l’inclusion professionnelle de douze femmes réfugiées au monde du numérique. Fort du succès de ce pilote, une deuxième édition sera lancée en 2019 à Paris et dans d’autres chapitres de Techfugees à travers le monde. Nous sommes aujourd’hui convaincus que c’est grâce à ce type d’évènement que nous pourrons apprendre à mieux comprendre les besoins des réfugiés et les défis à relever pour y répondre.