Le casse-tête du financement de la Deep Tech française

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47 millions d’euros levés pour la startup alsacienne Dynacure, spécialisée dans le traitement des maladies neuromusculaires rares. 30 millions pour Dreem, la startup parisienne qui améliore la qualité du sommeil. 15 millions pour Wandercraft, la startup francilienne qui développe un fauteuil roulant avec exosquelette. En Europe, depuis 2015, les investissements en capital-risque dans la DeepTech ont augmenté 3 fois plus vite que dans l’univers des startups B2C. Et pourtant, si la France possède tous les arguments pour devenir une place centrale de la DeepTech mondiale, elle n’y parviendra pas sans une politique de financement dédiée. Explications.
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Point définition. Une startup DeepTech naît généralement de travaux de recherche scientifique et propose une innovation de rupture. La Deeptech tente d’avoir un réel impact face aux défis de notre époque et du futur, comme la santé, l’intelligence artificielle, l’énergie, la mobilité… En 2015, le fonds anglais Atomico recensait 3 500 DeepTechs dans le monde. Maximilien Moulin, Manager AI chez Wavestone, coauteur d’une étude sur les investissements Deep Tech à l’international, estime qu’il « est très difficile de mesurer le nombre de DeepTech. En France c’est autour de la centaine mais c’est un écosystème très sous-estimé car souvent sous les radars. »

L’écosystème startup évolue et semble laisser la part belle aux projets « tech ». L’ère des startups du digital et de ces CEO issus d’écoles de commerce serait révolue pour laisser place aux chercheurs. « Les startups DeepTech sont protégées par des brevets qui résultent d’années de recherche et ne sont donc pas dans la course à la diffusion de masse comme on le voit souvent chez les startups plus classiques, » explique Maximilien Moulin.

« De 5 à 15 ans pour mettre au point un produit Deep Tech »

La véritable différence entre une startup LowTech et DeepTech réside dans la temporalité. De la phase de recherche à la mise sur le marché, les startups issues des laboratoires mettent de 5 à 15 ans pour sortir un produit, quand celles du numérique privilégient des lancements très rapides en appliquant la méthode lean startup. Par exemple, la startup OliKrom qui produit des solutions innovantes fondées sur l’intelligence des couleurs pour des industriels de tous secteurs, est le fruit de 16 années de R&D menées par Jean-François Létard, son fondateur et président quand il était chercheur au CNRS. Mais comme le temps c’est de l’argent, les besoins en financement de la DeepTech sont considérables, difficiles à mobiliser et à long terme.

C’est notamment le cas de la startup Aledia qui développe une technologie de LED en 3D, née au Leti, le laboratoire d’électronique et des technologies de l’information du CEA. La technologie de rupture améliore l’efficacité énergétique tout en évitant une obsolescence rapide des écrans LED. Depuis 2012, ce n’est pas moins de 72 millions d’euros qui ont été levés (12M€ au lancement, puis deux tours à 30M€), pourtant le produit n’est toujours pas au point. Selon Giorgio Anania, son PDG, l’enjeu technologique à résoudre est énorme et tous les acteurs de l’affichage électronique creusent le sujet, Apple aurait même investi un milliard de dollars dans ces recherches.

« Dans la DeepTech, on met entre 8 et 12 ans à sortir le produit commercialisable. La logique des fonds n’est pas compatible »

La France est une terre de recherche, le système est très performant et correctement financé, ce qui permet aux technologies de se développer dans les laboratoires avant de se transformer en entreprises. Entre les dispositifs d’aides de l’État, Bpifrance et les business angels, l’amorçage de la DeepTech n’est pas la difficulté principale. Comme souvent, la complication intervient sur les tours de financement suivants. Hormis Starquest Capital, Ventech, Supernova Invest et Omnes Capital, il y a très peu de fonds français dédiés.

« La part des DeepTech augmente dans l’investissement global mais quand un fonds est doté de 100M€, comment peut-on attendre de lui qu’il mette 20M€ seul sur une série A ? Interroge Paul Fournier, Directeur Innovation de Bpifrance. Le financement de la DeepTech passera par une augmentation de la puissance financière des fonds d’investissement déjà présents. Aujourd’hui, nous n’avons pas encore de fonds capables de financer l’ensemble des tours d’une DeepTech de série A de 10M€, à la série E. » Preuve en est, la dernière levée de fonds de Dreem a été menée par Johnson et Johnson, un fonds américain. Quant à Dynacure, elle a vu entrer à son capital un fonds israélien.

Le financement : un chemin de croix pour les Deep Tech!

Lors du Forum 5i de Grenoble, entrepreneurs, chercheurs et investisseurs se sont accordés pour “modéliser“ les besoins de la DeepTech. Ansi, pour mettre au point un nouveau produit, l’investissement est de l’ordre de 100 millions d’euros sur 10/15 ans, avec un gros risque d’échec. « Il faut que l’on structure un écosystème de financement de la DeepTech dont la logique d’investissement serait corrélée avec la temporalité et les besoins financiers des entreprises DeepTech. C’est le rôle de la Bpi que d’investir dans ces startups qui consomment 2,5 fois plus de capital que celles du digital, » estime Paul Fournier, de Bpifrance. Un rôle d’autant plus important qu’aucun fonds français ne peut supporter ce type d’investissements et de risques à ce stade.
Des paroles qui semblent être tenues. Selon l’étude menée par Hello Tomorrow et BCG Consulting, 45% des financements Deep Tech proviennent du secteur public, contre seulement 26% aux États-Unis et 35% dans le reste du monde, Europe incluse. En revanche, les fonds de capital-risque (5%) et les grands groupes (5%) s’impliquent moins en France qu’ailleurs, notamment par rapport aux États-Unis où les VC et les grands groupes pèsent respectivement 13% et 20% des financements à destination des DeepTech.

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Évolution des montants levés

Depuis 2017, la DeepTech est devenue le 1er secteur en termes d’investissements en Europe. Pour Giorgio Anania, PDG d’Aledia, « en France le plus difficile c’est de trouver le leader du tour. Après, entre la Bpi et les autres fonds qui vont se greffer à l’investisseur initial, il est facile de lever les 10M€ pour se lancer. À l’étranger c’est plus simple pour amorcer le tour. »

Comme le rappelle Paul Fournier, Directeur Innovation de la Bpi, il ne faut pas oublier que si le métier de VC est né dans les années 50 aux États-Unis, il n’a que 20 ans en France. « Même si nous avons triplé le capital-risque français en 3 ans, on accuse encore un retard significatif. L’explosion du financement en France s’explique par la vague du digital, il doit aujourd’hui évoluer et se structurer avec la DeepTech, » explique-t-il.

La principale difficulté du financement des DeepTechs réside dans la différence des modèles. La temporalité d’un fonds n’est pas la même que celle d’une DeepTech. « Un fonds a une durée de vie de 10 ans en moyenne. Dans la DeepTech, on met entre 8 et 12 ans à sortir le produit commercialisable. Pour peu que le fonds investisse dans sa 5e ou 6e année d’existence, il attendra des résultats au bout de 4 ans. Les logiques ne sont pas compatibles. Les corporate sont une alternative plausible puisqu’ils n’ont pas cette logique court-termiste. Puis, le VC ne propose souvent “que“ de l’argent, alors que le corporate peut-être à la fois l’argent et le client, estime Giorgio Anania, PDG d’Aledia.

« 61% des investisseurs classent la France dans leur Top 5 des destinations pour investir dans la DeepTech »

Cet attrait pour les corporate est partagé par 97% des startups interrogées dans l’étude menée par Hello Tomorrow et BCG Consulting. Pour autant, seulement 57% d’entre elles sont parvenues à un accord de partenariat avec un corporate. Les principaux risques de cette relation portent sur la vision à plus ou moins long terme, la confidentialité autour de la technologie et l’agilité nécessaire à la mise sur le marché d’une technologie de rupture.

Du côté de l’État, Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, et Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, ont détaillé les différentes mesures du plan « Deep Tech » opéré par Bpifrance lors de la séance inaugurale du Conseil de l’Innovation. Le double objectif de ce plan est d’augmenter le nombre de startups issues des laboratoires de recherche tout en leur permettant de grandir grâce à des dispositifs d’accompagnement dédiés. Le plan « Deep Tech » de Bpifrance bénéficiera de 70 millions d’euros chaque année grâce au rendement du Fonds pour l’Innovation et l’Industrie. Trois autres mesures significatives démontrent l’engagement de la Bpi. En premier lieu, la mise en place de Bourses French Tech “Emergence Deep Tech” avec un montant maximum doublé (90 k€) par rapport aux Bourse French Tech Emergence en vigueur. Dix millions d’euros y seront consacrés chaque année sous forme de dotations. Deuxièmement, le renforcement du dispositif d’aides individuelles pour les entreprises deep tech doté de 45 millions d’euros par an et réparti à parts égales entre subventions et avances récupérables. Il financera des projets dans les phases de R&D, de passage à l’échelle et de pré-industrialisation, pour favoriser l’accès au marché des entreprises deep tech. Et enfin, l’augmentation de la dotation annuelle du concours d’entreprises technologiques i-LAB grâce à un montant supplémentaire de quinze millions d’euros (14 millions d’euros actuellement). Ce concours français de la deep tech a permis en vingt ans d’existence de créer 1974 entreprises dont 70% sont encore en activité.

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Deep Tech, la France peut-elle s’imposer sans argent ?

Les grands groupes français s’investissent notamment au côté des laboratoires pour tenter de soutenir la DeepTech car la France dispose de tous les arguments pour devenir une place forte européenne et mondiale du secteur. Le cabinet Wavestone a réalisé une enquête auprès de plus de 100 investisseurs internationaux pour mieux caractériser l’engouement autour de la DeepTech et comprendre la place privilégiée de la France dans cette dynamique. Le résultat est sans équivoque : 61% des investisseurs classent la France dans leur Top 5 des destinations pour investir dans la DeepTech et 88% des investisseurs s’attendent à ce que la croissance des startups DeepTech soit plus forte en France que dans le reste de l’Europe.

Pour Maximilien Moulin, coauteur de l’étude, la Deep Tech française repose sur trois facteurs. « Le premier, c’est la force de sa recherche. Nous avons en France des laboratoires de recherche incroyablement compétents comme le CNRS, l’INRIA ou encore le CEA, dont les chercheurs sont reconnus et considérés comme peu coûteux. Par exemple, la grande majorité des experts internationaux en intelligence artificielle sont français. Le deuxième facteur, c’est l’environnement. Il y a aujourd’hui en France une volonté des acteurs privés et publics d’agir de concert pour développer cet écosystème. » Il faut aussi faire évoluer la culture des chercheurs français et des grandes entreprises. D’un côté, les chercheurs doivent pouvoir se projeter dans le privé et à la tête d’une startup mais d’un autre, les entreprises privées doivent aussi recruter des chercheurs performants et concurrencer les géants d’internet étrangers dans cette quête de talents. Rien d’étonnant donc à voir l’INRIA s’installer à Station F. Antoine Petit, président de l’INRIA, explique d’ailleurs que le nombre de startups issues de leur laboratoire a doublé depuis 2015. «Le dernier facteur, le financement, reste le point faible de la France. Même si les fonds grossissent, nous accusons toujours un retard certain sur les États-Unis, l’Asie et même le Royaume-Uni, » précise Maximilien.

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Niveau de confiance des investisseurs

Pourtant, cela ne semble pas freiner les investisseurs internationaux qui considèrent que la France dispose des talents, des infrastructures scientifiques, de l’accès à un marché important et surtout du soutien public nécessaire à son développement. Preuve en est, après la remise du rapport de Cédric Villani sur l’intelligence artificielle, le Président Macron s’est emparé du sujet en présentant le « Plan Intelligence Artificielle ». Financé à hauteur de 1,5 milliard d’euros, il inscrit une série de mesures pour faire de la France une nation pionnière de la recherche : ouverture des données, programme national pour créer un hub de recherche, focus sur la santé et les véhicules autonomes et même création d’un lab de la transformation publique afin que les ministères puissent proposer leur feuille de route et anticiper les mutations.

Lors de cette annonce, Stéphane Huet, Directeur général Dell EMC France s’est exprimé. Selon lui, « la course à l’innovation ne se fera pas sans l’humain et c’est là, tout l’enjeu de la transformation. La course à l’innovation ne se gagnera pas en empilant les technologies, aussi performantes soient-elles mais en sachant trouver un équilibre pour que la transformation numérique soit synonyme de valeur ajoutée pour l’individu. » Pourtant ce plan et la somme annoncée paraissent bien dérisoires face aux 15 milliards investis par le chinois Alibaba dans l’IA et les efforts des GAFAM. Alors pourrons-nous réellement créer des champions de la DeepTech ? Au-delà de la dimension économique, la DeepTech apporte des réponses aux nouvelles problématiques de notre siècle. « J’ai levé plus d’un milliard d’euros dans ma vie auprès de fonds français, allemands, américains et asiatiques. J’ai tout dépensé, j’ai connu le succès et l’échec, raconte Giorgio Anania d’Aledia. On ne fait pas de la DeepTech pour devenir riche. C’est impossible vu le niveau de dilution requis pour financer l’activité. On le fait pour participer à l’évolution du monde, pour changer les choses. » Et si c’était là la chance de l’Europe et plus particulièrement de la France ?


6 DeepTech françaises à suivre

Poietis

Startup leader des solutions de Bio-impression 4D, Poietis propose Poieskin ®, un modèle de peau totalement humaine bio-imprimé. « Nous sommes fiers que Poietis soit la première entreprise à proposer à la vente un tissu biologique bio-imprimé. C’est la concrétisation de plusieurs années de R&D de nos équipes et une étape majeure dans l’avancée des technologies de Bio-impression, » explique Fabien Guillemot, fondateur et directeur scientifique.

Fondateurs: Fabien Guillemot, Bruno Brisson
Seed – Fonds collectés depuis le début: 5 millions d’euros

Shift Technology

La DeepTech développe une intelligence artificielle et d’énormes ensembles de données (plus de 100 millions de demandes déjà traitées) pour détecter et signaler les réclamations d’assurance frauduleuses. La technologie de la startup permet de mettre en avant les indicateurs qui rendent la demande d’indemnisation suspecte. Selon les fondateurs, Shift Technology détecte 75% des fraudes, contre seulement 30 à 35% en moyenne.

Fondateurs: Jérémy Jawish, Eric Sibony, David Durrleman
Série B – Fonds collectés depuis le début : 40 millions d’euros

Wandercraft

La startup a développé un exosquelette motorisé qui permet aux personnes ayant un handicap physique de marcher sans aucune aide traditionnelle. Le succès technologique de la solution provient de l’intégration de dynamiques algorithmes robotiques, faisant marcher l’exosquelette en douceur malgré l’équilibre permanent instable. Les unités d’inertie miniaturisées capturent l’intention de se déplacer et facilitent les déplacements de la personne. Entre 2016 et 2017, plusieurs essais cliniques ont permis à des tétraplégiques de marcher à nouveau. L’exosquelette, nommé Atalante, devrait être commercialisé à partir de 2019.

Fondateurs: Nicolas Simon, Alexandre Boulanger, Matthieu Masselin
Série B – Fonds collectés depuis le début : 19 millions d’euros

Aledia

La startup développe une technologie de LED en 3D née au Leti, le laboratoire d’électronique et des technologies de l’information du CEA. La technologie de rupture améliore l’efficacité énergétique tout en évitant une obsolescence rapide des écrans LED.  Aujourd’hui, les mobiles utilisent des écrans LCD ou Oled qui ne sont pas efficaces. Seulement 5 ou 6% de l’énergie électrique consommée par l’écran est transformée en lumière utile pour l’affichage de l’image.

Fondateurs : Giorgio Anania, Xavier Hugon, Philippe Gilet
Série B – Fonds collectés depuis le début : 70 millions d’euros

Multix

La startup a créé, en partant d’une technologie développée par le CEA, un détecteur spectrométrique à rayons X qui est capable d’identifier toutes les substances explosives. La startup MultiX va commercialiser le ME100, un détecteur spectrométrique à rayons X. Installé sous le tapis roulant du scanner, il est capable d’identifier toutes les substances explosives. MultiX commence le déploiement de sa technologie dans les aéroports internationaux américains.

Fondateurs : Jacques Doremus, Patrick Radisson
Série B – Fonds collectés depuis le début : 13,5 millions d’euros

Dynacure

La startup est spécialisée dans le traitement des maladies neuromusculaires rares. L’aventure de Dynacure a débuté grâce à l’excellence scientifique de l’équipe de Jocelyn Laporte de l’IGBMC. Ensuite, l’investissement de Conectus a fait mouche avec le modèle de création de startup proposé par Kurma. « Forts de ces atouts, nous avons pu rapidement générer des résultats qui permettent aujourd’hui d’augurer un avenir proche chez le patient de notre principal produit visant le traitement de la myopathie centronucléaire, » explique Stephane Rooijen, CEO de Dynacure.

Fondateurs : spin-off de l’IGBMC (Jocelyn Laporte)
Série A – Fonds collectés depuis le début : 47 millions d’euros

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