Le cerveau a-t-il un sexe ?

cerveau sexe
Aujourd’hui encore, de nombreux discours alimentent les préjugés sur les différences d’aptitudes et de comportement entre les sexes. Les hommes aiment la compétition, les femmes sont douces et empathiques, les hommes n’écoutent pas, les femmes n’ont pas le sens de l’orientation, les hommes ne savent faire qu’une seule chose à la fois… Ces stéréotypes nous ont souvent conduits, au cours de nos vies, à penser que les hommes et les femmes étaient programmés pour penser et réagir différemment. Ces dernières années, les recherches scientifiques sur le cerveau ont beaucoup progressé grâce à l’imagerie cérébrale par IRM. Le cerveau s’avère encore plus complexe que nous le pensions et en évolution permanente grâce à la plasticité cérébrale. Nous avons interrogé Catherine Vidal, neurobiologiste, directrice de recherche honoraire à l’institut Pasteur et membre du comité d’éthique de l’INSERM, afin de répondre à cette question : les hommes et les femmes ont-ils le même cerveau ?
cerveau sexe
📚 Au programme
🖥 WEBINAR
Marketing Digital :
7 questions à se poser avant de lancer son entreprise.
formation marketing digital
Vous souhaitez développer votre visibilité et trouver des clients en ligne ?
  • Réseaux sociaux
  • Publicité en ligne
  • Référencement
  • Site internet …

Dans quelle mesure l’imagerie cérébrale a-t-elle fait évoluer les connaissances sur le cerveau ?

Catherine Vidal : « Les connaissances approfondies sur le fonctionnement du cerveau humain datent d’une trentaine d’années grâce aux techniques d’imagerie cérébrale par IRM. Auparavant les moyens d’exploration du cerveau restaient limités. Au XIXe siècle, les cerveaux étaient étudiés morts, conservés dans le formol. Ils étaient découpés, pesés et mesurés. Des médecins de l’époque ont cherché à relier les capacités d’intelligence au poids et à la taille des cerveaux. Certains ont prétendu que la taille un peu plus réduite des cerveaux des femmes par rapport aux hommes, expliquait la soi-disant infériorité intellectuelle des femmes. Les arguments biologiques sont depuis longtemps instrumentalisés pour justifier l’ordre établi et les inégalités sociales. C’est hélas encore le cas pour le sexisme, mais aussi pour le racisme et l’homophobie.

Avec le développement de l’IRM, il est désormais possible d’explorer le cerveau vivant en train de fonctionner. Ces études ont révélé que tous les êtres humains ont des cerveaux différents dans l’anatomie et le fonctionnement. On peut certes observer des différences cérébrales entre les sexes, mais il y a tout autant de différences entre les cerveaux de personnes d’un même sexe. La raison tient aux capacités de plasticité du cerveau qui se façonne selon l’histoire propre à chaque individu. Les connexions entre les neurones (ou synapses) se réorganisent en permanence en fonction des apprentissages et des expériences vécues. Le cerveau, loin d’être figé, se modifie tout le temps, à tous les âges de la vie. La découverte de la plasticité cérébrale a remis en question les conceptions anciennes d’un déterminisme génétique des différences d’aptitudes et de comportements entre les sexes. 
De fait, si l’on constate des différences entre les cerveaux d’hommes et de femmes, c’est souvent parce que les études ont été menées sur des groupes de personnes dont le vécu est différent. Ainsi, lorsqu’on recrute sur un campus universitaire des étudiants volontaires pour participer à des expériences par IRM, les étudiants hommes suivent en majorité des filières mathématiques et scientifiques, alors que les femmes sont davantage dans des filières littéraires et sociales. Rien d’étonnant alors de constater des différences entre les cerveaux des deux sexes. Attention aux interprétations hâtives ! Voir les différences cérébrales entre les femmes et les hommes ne signifie pas qu’elles étaient présentes à la naissance, ni qu’elles resteront gravées dans les cerveaux, plasticité cérébrale oblige !

Malgré ces découvertes, les stéréotypes sur les capacités mentales des filles et des garçons sont encore bien présents dans l’orientation scolaire et professionnelle

Nous faisons, encore de nos jours, face à un certain nombre d’idées reçues et de stéréotypes qui laissent croire que les garçons seraient naturellement doués pour les maths et les sciences, tandis que les filles seraient meilleures en langues et en littérature.
En 2005, le président de l’université de Harvard affirmait que « s’il y a peu de filles dans les disciplines scientifiques, c’est qu’elles n’ont pas de prédispositions génétiques pour réussir en sciences…. » Cette affirmation est en totale contradiction avec la réalité des connaissances scientifiques sur la plasticité cérébrale. Les femmes et les hommes ont les mêmes capacités cognitives de raisonnement, d’inventivité, de mémoire, que les hommes. Il n’y a aucun déterminisme biologique qui ferait que les hommes s’orientent vers les sciences.

[wydden_refer_post post= »30156″][/wydden_refer_post]

Cela signifie-t-il qu’il n’y a aucune différence entre un cerveau d’homme et un cerveau de femme ?

La réponse scientifique à cette question est oui et non. Oui, il y a des différences dans les zones du cerveau qui sont impliquées dans le contrôle des fonctions liées à la reproduction sexuée. Par exemple dans le cerveau des femmes il y a des neurones qui s’activent chaque mois pour déclencher l’ovulation, ce qui n’existe pas dans le cerveau des hommes. Mais la réponse est non en ce qui concerne les fonctions cognitives, les filles et les garçons ont les mêmes capacités d’intelligence, de mémoire, d’attention. Le bébé humain arrive au monde avec 100 milliards de neurones dans son cerveau, mais seulement 10% des neurones sont connectés entre eux. La majorité des connexions (ou synapses) se fabriquent après la naissance. A l’âge adulte, le cerveau humain possède un million de milliards de synapses. Cela signifie que chacun de nos 100 milliards de neurones est connecté à 10 000 autres, c’est d’une complexité énorme ! La fabrication de nos milliards de synapses se fait en interaction avec le monde environnant : lieu de vie, contexte affectif, familial, social, culturel. Voilà pourquoi tous les êtres humains ont des cerveaux différents et des personnalités différentes.

L’éducation et l’héritage culturel nous conduisent toutes et tous à véhiculer à des degrés divers des stéréotypes sur le masculin et le féminin.

Chez le jeune enfant, dont le cerveau est particulièrement plastique, les normes sociales du masculin et du féminin contribuent à forger certains goûts, certaines aptitudes, certains traits de personnalités. L’identité sexuée se construit progressivement en fonction du vécu propre à chaque personne. Mais tout n’est pas joué pendant l’enfance car les connexions neuronales évoluent. On peut avoir été marqué enfant par des stéréotypes de genre et s’en détacher ensuite par l’expérience.

Quelle est la part de l’inné et de l’acquis ?

Cette question est au cœur d’une longue réflexion philosophique ! Du point de vue des neurosciences, les recherches montrent que pour que le cerveau humain se développe et que les neurones se connectent, l’interaction avec l’environnement est impérative. La fabrication du système visuel en est un bon exemple.

A la naissance, la vision du bébé humain est très limitée. Ce n’est qu’à l’âge de 5 ans qu’un enfant acquiert des capacités visuelles comparables à celles de l’adulte. Pour cela la stimulation de l’oeil par la lumière est indispensable. À partir des neurones de la rétine, des prolongements dans les nerfs optiques vont rentrer dans le cerveau et se connecter avec les zones du cortex qui traitent les informations lumineuses. Pour que ce câblage se fasse, il est impératif que l’œil soit stimulé par la lumière. De même, l’interaction avec l’environnement est essentielle pour le développement des systèmes sensoriels, moteurs et cognitifs. Par exemple, les enfants abandonnés dans les orphelinats de Roumanie souffraient de retards mentaux majeurs et étaient incapables de parler. Un être humain pour se développer a besoin de vivre au contact des autres. Donc pour revenir au concept d’inné et d’acquis, en fait, les deux sont indissociables pour construire un cerveau. L’inné représente la capacité des neurones à se connecter entre eux et l’acquis est la réalisation effective du câblage qui dépend des interactions avec l’environnement.

Quelles sont les conséquences des stéréotypes liés au genre dans la vie sociale ?

Prétendre que les rôles assignés aux femmes et aux hommes dans la société sont le reflet d’un déterminisme biologique est une idéologie encore vivace. La prétendue « nature » des femmes à s’occuper de l’espace domestique pour privilégier la vie de famille est une injonction encore très puissante, et souvent inconsciente. L’éducation et l’héritage culturel nous conduisent toutes et tous à véhiculer à des degrés divers des stéréotypes sur le masculin et le féminin.

Biologiquement, les femmes ne sont pas moins ambitieuses, plus intéressées par le shopping, et les hommes par nature carriéristes et passionnés de foot. On constate bien évidemment des différences dans les comportements des hommes et des femmes. La question pertinente est de comprendre d’où elles viennent. Les recherches en neurosciences enrichissent et confortent les études en sciences humaines et sociales pour montrer l’impact majeur de l’environnent culturel dans les différences de comportement et de rôles occupés par les femmes et les hommes dans la société

Les hormones sexuelles ont-elles une influence sur les comportements des femmes et des hommes ?

Les hormones sexuelles ont certes des effets sur les fonctions de reproduction, mais on ne peut pas en tirer des conclusions systématiques sur les comportements et les relations sociales entre les femmes et les hommes. Il y a autant de manières de réagir aux hormones que de femmes et d’hommes. Les études scientifiques menées sur des sujets en bonne santé n’ont pas permis de montrer de relation directe, de cause à effet, entre le taux d’hormone dans le sang et l’expression de nos états d’âme, de nos envies et de nos humeurs. Contrairement aux animaux, l’Homo sapiens possède un cerveau unique en son genre qui lui permet de court circuiter l’action des hormones sur le comportement. En effet, le cortex cérébral, qui occupe 80% du cerveau, supervise les régions profondes du cerveau qui sont impliquées dans les instincts et sont influencées par les hormones. Chez l’humain, aucun instinct ne s’exprime à l’état brut. Il y a toujours un contrôle effectué par le cortex cérébral, et donc un contrôle par la culture et les normes sociales.

La voie est ouverte pour construire une société qui offre une égalité des chances aux filles et aux garçons dans l’éducation, la carrière professionnelle et la vie privée.

Prenons l’exemple de la faim. Cet instinct est programmé génétiquement et est totalement sous la dépendance des hormones. C’est le cas chez les animaux, comme chez les humains. Pourtant, l’être humain est seul capable de décider de faire la grève de la faim ou de jeuner pour des raisons culturelles et idéologiques. C’est grâce à son cortex cérébral que l’Homo sapiens a acquis la conscience d’exister, la capacité de raisonner, de dépasser le présent pour se projeter dans l’avenir, toutes ces fonctions cognitives qui lui donnent un « libre arbitre », c’est-à-dire la liberté de choix dans ses comportements. Nous ne sommes pas des robots pilotés par nos hormones. Ainsi, ce n’est pas la testostérone qui fait que les hommes ont des comportements violents et font la guerre. De même, les femmes ne sont pas toutes des créatures fragiles avec des humeurs pendant leur cycle. Il n’existe pas de loi biologique universelle qui ferait que toutes les femmes au 15e jour du cycle soient en pleine euphorie et soient toutes déprimées au 25e jour ! Toutes les femmes vivent différemment leurs cycles menstruels, leurs grossesses, leur ménopause.

[wydden_refer_post post= »30430″][/wydden_refer_post]

Quel est l’impact des recherches sur le cerveau dans la société ?

Les recherches en neurosciences sur le cerveau humain ne cessent de progresser. Elles sont régulièrement l’objet de débats entre scientifiques qui remettent en causes les connaissances antérieures pour faire de nouvelles hypothèses et les tester dans des expériences. Ainsi la découverte de la plasticité cérébrale a permis de montrer que le destin d’un individu n’est pas programmé dans son cerveau depuis la naissance, et que le cerveau est en permanente évolution tout au long de la vie. C’est une véritable révolution dans la conception de l’humain. Les capacités de plasticité du cerveau apportent un éclairage neuroscientifique majeur sur les mécanismes qui forgent nos identités de femmes et d’hommes. La voie est ouverte pour construire une société qui offre une égalité des chances aux filles et aux garçons dans l’éducation, la carrière professionnelle et la vie privée. »

Les neurosciences représentent un outil essentiel pour comprendre la place des hommes et des femmes dans la société. La biologie, l’anthropologie, l’histoire, la psychologie ainsi que la sociologie, apportent une vision complémentaire.

🖥 WEBINAR
Marketing Digital :
7 questions à se poser avant de lancer son entreprise.