Boulimie digitale : il faut que cela cesse!

A l’heure où j’ai commencé la rédaction de cet article, 1 301 835 ordinateurs avaient été achetés en France depuis le début de l’année 2019. Au moment où je l’ai terminé, le chiffre était de 1 303 076.

Notre appétit croissant pour les appareils électroniques implique plusieurs choses : la consommation d’énergie primaire, comme l’électricité, et celle de métaux rares, comme le gallium ou le tantale, dont le taux de croissance moyen annuel oscille entre 10 à 12%. Grosso modo, la consommation de ces métaux double tous les 7 ans.

Le diagnostic : boulimie digitale.
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Symptômes : changer de smartphones tous les ans, commander des Ubers à n’en plus finir, et s’enticher d’objets connectés absurdes (j’ai nommé, la montre connectée) à une cadence effrénée.

Certes, la conjecture de Moore s’est avérée fondée. Si l’efficacité énergétique de nos équipements électriques s’améliore régulièrement, cela n’empêche pas notre consommation d’électricité d’augmenter de manière exponentielle…

Tout au long de leur cycle de vie, depuis la fabrication, qui induit l’extraction de métaux rares et précieux, jusqu’au recyclage ou au reconditionnement (dans le meilleur des cas…), nos appareils électroniques génèrent émissions de gaz à effet de serre et pollution diffuse à grande échelle. Alors à ce rythme, le réveil risque d’être un chouia douloureux.

Non seulement à cause des catastrophiques effets environnementaux que le numérique traine dans son sillon, mais surtout car les stocks de certains métaux précieux seront épuisés d’ici quelques dizaines d’années.

Ne plus pouvoir passer d’IRM faute de n’avoir pu se passer de smartphone serait quand même dommage…

 

Françoise Berthoud, Ingénieur de Recherche au CNRS, fait le point avec nous et répond à nos questions.

Selon vous, comment la situation a t-elle évolué ces derniers temps?

Je dirais que depuis l’été 2018, une prise de conscience s’est opérée au sein de la population générale, notamment chez les étudiants. Je pense bien sur entre autres à la jeune Suédoise Greta Thunberg, devenue le porte-voix de la lutte contre le réchauffement climatique. Il s’est passé quelque chose, on l’a tous ressenti, même si nous sommes encore pour la plupart bien trop dans la course à la consommation…

 

 

Néanmoins, côté constructeurs, il n’y eu dans l’intervalle aucune avancée significative. Certes, les professionnels sont plus en mesure à ce jour qu’il y a quatre ans de fournir les fiches environnementales de leur émissions, mais uniquement en ce qui concerne le C02. Rien en revanche sur les métaux! Concernant ces denrées là, les seules données proviennent de travaux scientifiques. Et hélas, ces données sont fournies aux professionnels, et non aux consommateurs, pour qui elles ne peuvent donc pas constituer un facteur différenciant au moment de faire un choix clé, un achat : privilégier un fournisseur propre plutôt qu’un autre.

 

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Quelles sont les avancées en terme d’éco-conception?

L’éco-conception, nous en sommes encore bien loin! Je n’observe aucun progrès et suis de fait assez négative sur le sujet. L’une des pistes viables serait d’opter pour du matériel plus robuste, plus durable, mais rien n’est imposé aux constructeurs au niveau législatif. Les ONG ont à plusieurs reprises tenté de faire en sorte que les appareils électriques soient garanties plus longtemps par les professionnels, mais en vain… Il faudrait pour être efficace que la mesure soit appliquée pas seulement en France, mais dans toute l’Europe. A ce niveau-là, tout est très lent…C’est une fourmi qui s’attaque à l’Everest!

En outre, si les gens ont pris conscience de certaines choses, ils ne sont dans l’ensemble pas encore demandeurs de changements profonds, pas assez exigeants, hormis une trop petite fraction de la population. Rien n’empêche donc les constructeurs de continuer dans la lancée de leur modèle économique actuel!

C’est une fourmi qui s’attaque à l’Everest !

Que pensez vous des entreprises comme Qarnot, qui propose un chauffage fonctionnant à base de GPU et mine de la crypto-monnaie?

Il s’agit d’une solution intéressante, mais qui n’est à mon avis pas viable. Comme les systèmes ne sont pas centralisés, les données doivent circuler, ce qui génère des pertes d’énergies colossales, sauf à les utiliser pour miner de la crypto monnaie, mais quel sens cela a-t-il ? C’est en tous cas un modèle intéressant dans la perspective d’un futur low tech, mais pas dans notre monde économique actuel. Le problème de beaucoup d’initiatives de ce genre, c’est qu’elles produisent des effets rebond : les constructeurs proposent des appareils qui consomment moins, mais ces derniers sont démultipliés, cela annule les effets positifs.

Si les gens ont pris conscience de certaines choses, ils ne sont pas dans l’ensemble encore demandeurs de changements profonds

Dans la même manière, c’est une bonne chose de produire du chauffage en circuit fermé, cela en serait une meilleure de moins chauffer. L’une des croyances du moment, très nocive à mon sens, est que le numérique va permettre de résoudre tous nos problèmes. Le gouvernement nous parle de faire « du numérique responsable », mais c’est creux, cela ne veut rien dire! Faire un serveur qui consomme 10% de moins, nos élus trouvent ça formidable. On est pourtant bien loin du compte! Mais malheureusement, les hommes politiques Français ont une confiance inébranlable en le numérique.

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Pour vous, l’impact du numérique, ce n’est pas le plus grave…

Le plus grave, ce ne sont pas les effets directs du numérique (épuisement des ressources, pollution, émissions de gaz à effet de serre, consommation d’énergie…), mais ses effets indirects.

Les effets indirects, c’est tout ce que permet la technologie, comme par exemple la domotique ou les transactions à hautes fréquences, et qui conduit à une surexploitation de nos machines et un asservissement des hommes, le tout en produisant des effets en cascade.

Introduire du numérique qui induit plus de numérique, l’utiliser pour accélérer sa production, c’est extrêmement néfaste. En outre, le numérique permet des avancées qui au niveau écologique n’en sont pas. Une image simple : si vous payez votre essence moins chère, vous allez dépenser l’argent économisée dans autre chose, et donc consommer plus, et polluer plus… A ce jour, nous n’avons pas de chiffres exacts concernant les effets indirects, très difficiles à évaluer, mais certainement très conséquents. Il faut être très vigilants par rapport à cette question !

 

 

Crédit photo : Photo by Matt Pritchard et frankie cordoba on Unsplash
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