Le sport est devenu ces dernières décennies un phénomène social. Tout d’abord, la réduction du temps de travail et les congés payés ont fait émerger le sport en tant que loisir. Puis, les nouveaux modes de vie, de plus en plus sédentaires, nous ont fait entrer dans une société du confort matériel dans laquelle le sport est devenu un moyen de s’entretenir et de garder la forme physique. « Notre société du confort a endormi certains affects, certaines émotions comme l’effort physique, l’adrénaline et le dépassement de soi. Le sport permet aussi de retrouver des sensations oubliées par nos modes de vie modernes, » a expliqué Thibaut Bardon, coauteur avec François Régis Puyou d’une étude sur les exploits sportifs au service de pratiques managériales.
Pour ce chercheur, professeur à la chaire innovation managériale d’Audencia, le sport est aussi devenu un moyen pour l’individu de se construire lui-même. « Dans une société que Zygmunt Bauman définit comme liquide, où les bases de l’identification traditionnelle comme la famille et la religion ont une place de moins en moins importante, le sport permet de se définir en tant qu’individu ».
Marathon, IronMan, Ultra Trail. Plus c’est long, plus c’est bon
Au travers de son étude, il a interrogé 33 managers très sportifs, du marathonien à l’ironman récidiviste, afin de comprendre comment les dirigeants d’entreprises utilisaient leurs pratiques sportives dans leur performance managériale. L’étude menée a mis en évidence cinq types de liens entre pratique sportive et capacité à diriger. Les citations ci-dessous sont extraites de ses entretiens.
La pratique sportive permet de devenir un meilleur manager. En pratiquant de manière intensive la course à pied, les dirigeants estiment développer leurs capacités cognitives. Lorsqu’ils courent, ils réfléchissent de manière différente aux problèmes rencontrés et adoptent un mode de pensée différent. « Des centaines de fois, je ruminais dans ma tête des problématiques rencontrées au travail, et pour une raison que je ne saurais expliquer, j’ai trouvé en courant beaucoup de nouvelles idées pour les résoudre ». Par ailleurs, la course leur permet de développer une plus grande faculté d’écoute aux autres et renforce leur endurance et leur mental dans la vie professionnelle. « Quand je traverse un moment compliqué au travail, je réagis exactement comme lorsque je le rencontre pendant une course longue. Je pense au prochain ravitaillement plutôt qu’à la ligne d’arrivée. C’est pareil pour mes objectifs de vente: je vais me concentrer plutôt sur ma prochaine action commerciale que mon objectif annuel à atteindre. »
Parfois même, la stratégie mise en place en vue de réaliser une course peut être proche de la stratégie d’entreprise: « j’aime travailler sur la stratégie de la course. Il faut comprendre les objectifs principaux et prendre des décisions tactiques par rapport aux autres coureurs, au profil de la course, à vos points forts et points faibles. Vous devez aussi anticiper les moments difficiles de la course pour mieux les gérer lorsqu’ils se présentent. Pour moi, c’est une version ludique de la stratégie d’entreprise. »
« Je traite avec le même intérêt mes entraînements dans mon agenda que mes réunions professionnelles. Je vais donc courir de 11h à 14h si c’est dans mon agenda »
La pratique sportive intense agit également comme une soupape de décompression et permet aux dirigeants de mieux assumer la pression et les responsabilités qui leur incombent. En effet, les bénéfices curatifs de la pratique sportive permettent de décharger les tensions et ainsi d’aborder les problèmes avec plus de recul. « Dans notre vie professionnelle, nous devons rester concentrés de nombreuses heures. Courir me permet d’évacuer le stress accumulé pendant la journée et de récupérer. C’est presque vital. Je ne peux pas imaginer que je pourrais me débrouiller sans. »
Pour les dirigeants qui consacrent une grande partie de leur temps à leurs occupations professionnelles, la pratique intense de la course permet de trouver un meilleur équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle. À travers une activité sportive intense, les dirigeants cherchent à se réaliser aussi personnellement, au-delà de leur travail. « Lorsque vous gérez des gens dans le travail, presque tout ce que vous faites est destiné aux autres. En ce qui concerne ma course et mes entrainements, au contraire je le fais uniquement pour moi, sans même penser à ma famille. » Par ailleurs, se fixer des objectifs sportifs difficiles leur demande d’organiser leur entraînement et donc de réduire le temps passé au bureau. « Je traite avec le même intérêt mes entraînements dans mon agenda que mes réunions professionnelles. Je vais donc courir de 11h à 14h si c’est dans mon agenda, exactement comme si j’avais un rendez-vous avec un client important ».
[wydden_refer_post post= »30769″][/wydden_refer_post]Un avantage dans une carrière professionnelle
La pratique sportive semble aussi être un moyen de se différencier professionnellement, que ce soit consciemment ou inconsciemment. En relevant d’eux une personnalité persévérante, la pratique intensive de la course à pied leur permet de participer à la mythologie du dirigeant « superman » qui arrive, en plus de son travail, à réaliser des exploits sportifs. L’investissement sportif extrême d’un manager participe ainsi à une meilleure vision du manager en interne. « Lors de la première réunion avec les actionnaires de ma société, mon patron leur a parlé de ma passion pour la course à pied. C’était quelque chose de positif selon lui. Vous savez que le seuil des 4 heures pour un marathon est assez emblématique pour ceux qui pratiquent la course à pied. Lorsque vous annoncez aux autres que vous êtes en dessous des 4 heures, cela alimente tout de suite la conversation. »
Enfin, le sport est utilisé par le dirigeant comme un outil de management et de recrutement. En incitant les collaborateurs à partager ensemble des défis sportifs et parfois en recrutant des collaborateurs partageant cette même passion, la course à pied est un vecteur de motivation et de cohésion au sein de l’équipe. De test parfois : « nous participons tous les ans à un challenge sportif d’entreprise. Je trouve que cela est très révélateur. Alors que certains trouveront toujours une excuse pour ne pas être disponibles, d’autres pensent qu’ils n’en seront jamais capables mais terminent finalement la course. Je pense que de telles circonstances permettent de voir les valeurs professionnelles et les capacités des uns et des autres en regardant comment chacun réagit face à cela. »
C’est un paradoxe que beaucoup de gens ne comprennent pas. C’est vrai, pourquoi donc le top management et les entrepreneurs s’imposent-ils, en plus d’un agenda et de responsabilités importantes, des pratiques sportives extrêmes ? Pourquoi ne pas simplement se reposer ou lire un bon bouquin ? Chacun son équilibre après tout.
