Qui va gagner la guerre des trottinettes électriques en libre-service ? Fin juin, la startup Lime débarquait à Paris avec ces trottinettes en libre-service à 15 centimes par minute. Une arrivée qui en annonce d’autres, car les startups comme Bird, Lime et Spin ont envahi des douzaines de villes américaines avec leurs flottes de trottinettes ces derniers mois. Les investisseurs abondent de centaines de millions de dollars les startups du secteur dans l’espoir que la mieux capitalisée l’emporte. Mais comme l’a démontré la précédente guerre du VTC, l’argent seul ne suffit pas. Dans cet article que nous avons traduit, Sunil Paul, un entrepreneur, inventeur et investisseur américain qui a cofondé la startup pionnière des VTC Sidecar, s’exprime sur cette guerre et sur la domination sans partage de Uber dans la mobilité urbaine.
Malgré tout l’argent que Bird, Lime et Spin ont levé, ils ne vont pas gagner la guerre des trottinettes. Non, ces startups ne deviendront pas le Uber de la trottinette. Le Uber des trottinettes sera Uber. Oui pour l’instant le géant ne possède pas une seule trottinette, mais dispose déjà des avantages concurrentiels importants pour s’imposer sur le marché.
Le Uber de la trottinette en libre-service sera Uber
Pour comprendre pourquoi Uber remportera le marché des trottinettes, il est important de comprendre la nature des marchés bilatéraux. Comme d’autres places de marché – Airbnb et Amazon – Uber rassemble l’offre et la demande. La demande vient des consommateurs qui veulent passer d’un point A à un point B. L’offre provient des conducteurs qui proposent les trajets dans leurs propres voitures. Si vous avez beaucoup de demandes, il est relativement facile de recruter de l’offre.
Alors quand Uber a racheté Jump, une startup de partage de vélo, le géant a marqué le début de la fin de Bird et Spin, des startups « trottinette ». Pourquoi ? Parce qu’Uber a déjà remporté la guerre des solutions de partage de vélo et en a tiré les leçons. Lorsque vous combinez la puissance financière et logistique avec les leçons apprises par Uber lors de son premier combat pour les vélos, le seul espoir pour les startups « trottinette » est d’être acheté par Uber. C’est pourquoi l’investissement d’Uber dans Lime signe presque définitivement la fin de Bird et Spin et de tous les autres acteurs de ce marché. Un nouveau tour de 335 millions de dollars qui valorise la startup de trottinettes électriques en libre-service à 1,1 milliard de dollars. Un tour qui est probablement le premier pas vers une acquisition totale du service.
Trottinettes partagées, même marché que les VTC ?
S’il est vrai que le partage de trottinettes a une logistique d’approvisionnement différente et un business model plus performant que les VTC, il existe en réalité beaucoup plus de similitudes et de complémentarité que de différences entre ces deux marchés. Voir débarquer Uber n’est donc pas une surprise.
Le défi logistique des trottinettes électriques partagées.
Pour réussir, les services de trottinettes en libre-service doivent positionner les trottinettes quand et où il y a une demande des consommateurs. Pour cela, ils engagent des dizaines de « chargers », des personnes qui ramassent, chargent et redéploient les trottinettes. Bien sûr, cela parait plus simple que de trouver un conducteur avec une voiture propre. Pourtant, les deux ne peuvent devenir qu’une seule et même personne. Uber et Lime :
• recrutent une force de travail freelance, dont certains sont capables de conduire et d’être des « chargers ».
• Les deux sont experts pour déterminer où et quand déployer l’offre de conducteurs ou de trottinettes.
Les « chargers » de scooters sont plus faciles à trouver, car ils n’ont pas besoin de licences, de voitures propres ou de vérifications d’antécédents. Cela signifie qu’il sera plus facile pour Uber d’entrer dans la guerre des trottinettes que l’inverse. Et la question complexe de savoir quand et où déployer des trottinettes est probablement la même que quand et où déployer des VTC. Et c’est là que Uber a un avantage significatif.
Une trottinette dans le coffre du Uber ?
Imaginez plutôt : un chauffeur Uber ramasse quelques trottinettes à la fin de sa soirée dans sa 5008, les charge pendant la nuit, puis les déploie dans un lieu différent le lendemain matin où la demande sera plus élevée.
Uber a passé des années à optimiser ses algorithmes pour comprendre ces lieux et ces moments. Cette information sera-t-elle radicalement différente entre les VTC et les trottinettes ? Non, parce que les gens qui veulent passer d’un point A à un point B sont prêts à essayer différents modes à différents moments. Ceci est particulièrement vrai chez les early-adopters qui constituent aujourd’hui le noyau des utilisateurs de trottinettes.
Il n’y a donc pas de fossé significatif ou de barrière à l’entrée résultant de la logistique des trottinettes. Les sociétés de VTC disposent déjà de centaine de conducteurs et il est facile d’imaginer qu’un petit nombre d’entre eux puissent également être « chargers ». Le rachat de Jump par Uber et l’acquisition de Motivate, le plus grand réseau de partage de vélos aux États-Unis, par Lyft, le principal concurrent d’Uber, démontre que les équipes des géants du VTC comprennent les défis du partage de vélos, qui est encore plus similaire au partage de trottinettes.
Un business model qui tient la route ?
Qu’en est-il de la rentabilité du modèle ? Les récentes fuites (volontaires ?) sur les chiffres de Bird et Lime indiquent un très faible coût d’acquisition par clients, des taux d’utilisation de 10 à 12 trajets par jour et des périodes d’amortissement pour les trottinettes de seulement quelques mois. Le secteur est attrayant, cependant il ne dispose d’aucune barrière à l’entrée.
« Les sociétés de covoiturage ont déjà les algorithmes les plus pertinents, le plus grand nombre d’utilisateurs et l’expertise en logistique pour approvisionner les lieux de demande. »
Ce qui est encore plus effrayant pour un investisseur de Bird ou de Spin, c’est le risque qu’Uber et Lyft, avec leur coûteuse acquisition de clients, utilisent des trottinettes comme moyen d’acquérir des clients pour leurs activités de VTC. En effet, il pourrait être économiquement sensé pour les sociétés de VTC de mettre à disposition les trottinettes gratuitement, juste pour inciter davantage de consommateurs à utiliser leurs applications. Si un pilote de trottinette utilise Uber ou Lyft pour trouver des trottinettes, que se passe-t-il lorsqu’il pleut ou qu’il est en retard ? Ils seront susceptibles de payer pour un trajet en voiture au lieu d’économiser de l’argent avec un trajet en trottinette détrempé et/ou en retard.
Qu’on se le dise, si les sociétés de VTC proposent de tester des trajets en trottinettes électriques gratuitement ou sur abonnement afin de réduire leurs propres coûts d’acquisition de clients. Et que cela fonctionne, alors les startups « trottinette » seront finies. Leur économie fonctionnera soudainement à l’envers, les consommateurs réalisant qu’une trottinette gratuite ou à très faible coût est disponible à proximité grâce à une application de VTC qu’ils utilisent déjà.
Une guerre entre les startups des trottinettes en libre-service, vraiment ?
La guerre des trottinettes aura bien lieu. Et il y aura du grabuge. Fondamentalement, c’est parce que les sociétés de VTC ont déjà les algorithmes les plus pertinents, le plus grand nombre d’utilisateurs et l’expertise en logistique pour approvisionner les lieux de demande qu’elles remporteront ce marché. Comme elles remporteront tous les marchés de la mobilité de proximité. On assiste à un remake des oligopoles technologiques qui étendent leur pouvoir pour écraser les startups innovantes, car ne nous y trompons pas, quand Uber investit 335 millions dans les trottinettes ce n’est pas pour soutenir l’innovation.
Traduction et adaptation depuis : Source