Avec comme objectif principal la croissance, l’ensemble du modèle startup fonctionne sur le principe de rapidité : se lancer vite, lever le plus d’argent possible, recruter massivement, croître et prendre les parts de marché en un temps record, les startups sont par essence anti slow! Pourtant, face à certains écueils rencontrés du fait d’un développement rapide, certains ont bâti, de manière volontaire ou pas, des slow startups.
Le dogme de la Silicon Valley qui fait du pouvoir, de l’argent et de la croissance le « must have » à atteindre, n’arrive plus à convaincre tous les fondateurs. Mettre sa société, sa santé et celle de ses salariés en danger pour atteindre les objectifs fixés dans 99% des cas par des financiers- dont l’objectif unique est celui du rendement- est rarement compatible avec l’idée que l’on se fait de l’entreprise. Certains fondateurs choisissent de renoncer à une croissance fulgurante pour se concentrer sur une croissance stable à long terme. Dans son livre « Rework : réussir autrement », Jason Fried, le cofondateur de 37signals, une entreprise d’édition de logiciels, prodigue des conseils aux entrepreneurs avec une approche plutôt contre intuitive. Parmi ses conseils : croître doucement, minimiser les financements externes, ne pas trop travailler.
« Dans le monde de la tech, je pense qu’il y a beaucoup de « business loterie » maintenant. Des entreprises qui lèvent un tas d’argent, recrutent massivement et qui brûlent le tout en espérant gagner le pactole »
Selon lui, rester petit et frugal permet de maximiser son potentiel. « Dans le monde de la tech, je pense qu’il y a beaucoup de « business loterie » maintenant. Des entreprises qui lèvent un tas d’argent, recrutent massivement et qui brûlent le tout en espérant gagner le pactole, » confie-t-il au magazine Fast. En dépensant proportionnellement l’argent qu’elles gagnent, ces slow startups vont prendre plus de temps pour valoriser leur produit, apprendre des clients, recruter la bonne équipe et les bons partenaires. Et contre toute attente, à moyen terme, ces startups peuvent croître davantage que celles ayant choisi le modèle traditionnel de cashburn.
Superprof, super slow startup
Superprof est l’une de ces startups qui ont fait le choix d’une croissance maitrisée. Maîtrisée oui, mais pas lente pour autant. La startup connaît depuis sa création en 2013 une croissance régulière et internationale. Wilfried, son fondateur, ne vient pas du monde des startups : « j’avais fait des études d’ingénieur, travaillé en cabinet de conseil et je développais une activité dans l’immobilier quand je suis tombé amoureux du modèle d’Airbnb. Un jour dans une boulangerie, j’ai vu les petites annonces des cours particuliers affichés, c’est devenu une évidence. J’ai voulu transposer le modèle d’Airbnb au secteur des cours particuliers ». Ambitieux dès l’origine du projet, Wilfried veut créer une entreprise avec une dimension internationale. Il rachète superprof.com à un Coréen et recrute un développeur en freelance pour développer la plateforme. Avec une enveloppe de départ de 30 000€, il développe la première version de la plateforme. « J’avais un super site avec un super design mais peu d’offres. Je savais que le nerf de la guerre était l’offre de choix, alors j’avais contacté le site leader de l’époque, cours particulier sur internet, qui disposait de 80 000 professeurs, la première place sur Google, mais pas de business model et de plateforme adaptée » poursuit Wilfried.
Il rencontre alors Yann Léguillon, le fondateur du site, consultant en cabinet de conseil qui a développé le site pendant ses études. Il lui propose de racheter son site mais, séduit par le projet, Yann veut s’associer. « On s’est vu plusieurs fois car moi je ne voulais pas m’associer et lui ne voulait pas me vendre la plateforme ! Il a gagné, on s’est finalement associé, parce que même si nos profils n’étaient pas complémentaires, on avait une bonne entente. Aujourd’hui on vit encore une parfaite histoire d’amour ! » Superprof se lance donc en août 2013 avec la base de données et le référencement de cours particuliers sur internet, la plateforme et le modèle économique de Superprof. Le modèle économique repose sur un coût de mise en relation fixe, payé par les élèves. D’abord à 9€, la mise en relation est aujourd’hui de 29€. « Cela se justifie par un travail de recommandation très poussé et un service client très présent pour s’assurer de connecter chaque élève avec le professeur parfait ».
Un business model différent
L’offre étant au cœur du modèle, le prof ne paye rien à la plateforme, ni frais de référencement ni commission. Mais il est fréquent que les professeurs offrent le premier cours à l’élève, ce qui permet de partager indirectement le coût de la mise en relation entre le professeur et l’élève. À peine lancé, le site décolle et réalise 6000€ de recettes dans le premier mois. Après 4 mois d’activité, la startup atteint les 25 000€ de chiffre d’affaires mensuel. « On a fait du chiffre tout de suite parce qu’on avait l’antériorité d’un site de 6 ans et un référencement au top. Dès le début, j’ai su que je ne pourrais pas décoller seulement avec Superprof, je savais que j’avais besoin de me reposer sur une base qui existait depuis longtemps et qui ne demandait qu’à être bien exploitée ». Les fondateurs décident rapidement de lâcher leurs jobs pour se consacrer à la plateforme à temps plein. En dehors de l’écosystème startup et aux rênes d’une entreprise dont le modèle croît de manière organique, ils ne demandent aucune aide, aucune subvention et ne connaissent rien des mécaniques de la levée de fonds.
Prendre son temps pour éviter les erreurs
« J’étais avant tout motivé par l’idée de créer la boîte de mes rêves qui me permettrait de voyager et de développer mon activité sans pression avec une belle équipe. Je ne me suis jamais dit que je ne voulais pas lever. Je ne connaissais pas les modèles et les possibilités de financement, c’était sans calcul ! Mais c’est vrai qu’avec du recul je crois que le fait d’avoir été libre est ce qui a fait notre réussite. Si on avait cherché à lever des fonds, on nous aurait probablement demandé de changer de business model car il va à l’encontre de tout ce qui se fait. Et même encore aujourd’hui, alors que l’on fait 1,5 million de recettes par an, on me dit encore tous les jours que le modèle est complètement con ! »
Les startups quand on leur dit de prendre leur temps…
Aujourd’hui, Superprof est accessible en 6 langues, dans 13 pays. Pour poursuivre son développement à l’international, l’entreprise vient de souscrire un premier prêt, notamment pour être en mesure de racheter des petits sites locaux, afin de poursuivre la stratégie qui a fait son succès.« Je trouve sain de rembourser une dette, car ça responsabilise face aux dépenses. On n’est pas tenté de dépenser plus que le prix juste, autant pour les salariés que les prestataires ou les différents budgets. Quand on lève des fonds, on nous pousse à tout dépenser rapidement pour « bouffer » le marché. Mais je crois qu’il y a un temps incompressible pour apprendre et réfléchir. Pour bien dépenser et bien comprendre les mécanismes, le fonctionnement des clients, la meilleure manière de manager son équipe… je ne dis pas que je ne lèverai jamais. Je ne sais pas de quoi demain sera fait, peut-être un jour en aurais-je besoin pour atteindre une taille critique ou faire face à des concurrents plus féroces. Mais aujourd’hui j’aime l’idée de pouvoir croître et garder la maîtrise de mon entreprise ! ».
Une stratégie qui semble jusque-là porter ses fruits, puisque si les gros acteurs tels qu’Acadomia ou Le bon Coin génèrent des volumes supérieurs, Superprof est devenu le leader des plateformes de cours particuliers en ligne. Avec 1,1 million de professeurs et des centaines de mises en relation quotidiennes, il semble faire la course en tête devant certaines startups ayant pourtant levé des millions. Preuve que parfois même dans le monde des startups, une croissance saine et maîtrisée peut mener plus vite, plus loin.
Tous propos recueillis par GO, sauf mentions.