Un jour, le chargé d’affaires d’un incubateur m’a dit « le gratuit, ça va deux minutes, il faudrait que tu penses à faire payer ton service ». Plutôt ironique comme situation sachant que leur service d’accompagnement est… gratuit. Bref, là n’est pas le sujet. Mais cette question a fait écho et, en effet, c’est quand même hallucinant le nombre de start-up qui proposent des services gratuits. On en vient presque à se demander si c’est une bonne idée.
Quand faire du gratuit ?
Entendons-nous, il est utile de faire du gratuit. Parfois. Notamment dans une phase d’acquisition client, cela peut permettre de lever les freins du premier achat ou d’éviter le syndrome de la carte bleue. Idéal pour les startups qui ont du mal à déclencher le premier paiement. Puis c’est rassurant pour la stratégie de conversion, puisqu’on se dit que 20% des utilisateurs gratuits paieront après… ou pas. Vous pouvez aussi faire du gratuit au lancement d’un nouveau produit avec une exclusivité, du type « les 100 premiers inscrits profiterons du service gratuitement. »
Autre solution, faire du gratuit parce que votre business model repose sur les données récoltées et donc sur la masse d’utilisateurs. Enfin, la technique du freebie marketing aussi appelée la technique du rasoir et des lames en hommage à Gillette, qui a créé et utilisent encore ce business model. L’idée c’est de donner, offrir ou vendre à perte le premier produit, en l’occurrence le rasoir. Et de vendre les recharges des produits, donc les lames, avec une marge énorme.
Mais c’est à peu près tout. Parce que si au premier abord c’est un bon moyen d’acquérir des clients, le gratuit pose de nombreux problèmes.
Quels sont les inconvénients du gratuit ?
Pour beaucoup de personnes, ce qui est gratuit n’a pas de valeur. Et c’est un véritable problème pour une start-up en plein lancement. Comment gagner en crédibilité si les gens ne vous attribuent aucune valeur ? De même si votre produit/service est gratuit, les gens ne se plaindront pas s’il est défaillant. Comment comptez-vous alors le faire évoluer ?
À l’heure où les investisseurs sont de plus en plus regardants, offrir un service ou un produit gratuit sans business model est très problématique. Il ne faut aucunement que l’argument du gratuit serve d’excuse à l’absence du business model. Du genre, « Pour l’instant le business model n’est pas notre problème, nous sommes dans une phase d’acquisition».
Autre problème de taille, qu’avait expliqué Ganaël Bascoul, CEO de Monsieur Barbier, c’est la dévalorisation systématique du service lorsqu’il est gratuit. « Nous avions mis en place le premier mois gratuit, pour permettre aux clients de tester notre service. Mais cela s’est révélé être à la fois une erreur économique, parce qu’un décalage de trésorerie très important naissait. Mais aussi une erreur marketing parce que cela dévalorisait l’image du service. »
Enfin le principal problème de la gratuité c’est que cela retarde la rentabilité. Comme beaucoup de business model du web, la gratuité joue nécessite une masse critique à atteindre pour espérer devenir rentable.
Rien n’est gratuit de nos jours !
Je vous vois venir, vous allez me dire que je me trompe. Waze, Tinder ou encore même ClickAndWalk, qui rémunère les utilisateurs. Toutes ces applications sont gratuites. En effet, vous ne déboursez pas un centime. En revanche, vous y consacrez du temps, de l’attention et acceptez le fait d’être géolocalisé. La gratuité d’un service et bien souvent déguisé par des actions à faire.
Des études démontrent même que les consommateurs ont développé une méfiance vis-à-vis du gratuit. Selon Daniel Kahneman et Amos Tversky, pour un acte d’achat, les consommateurs ont besoin de comprendre ce que propose le produit et l’utilité. Un prix à zéro crée un biais dans l’acte d’achat, car il dévalue directement l’utilité du produit.
Quand c’est gratuit, c’est vous le produit…
Au-delà du fait que rien n’est gratuit, on se rend compte que faire du gratuit n’est pas toujours une bonne stratégie. En réalité, le problème n’est que très rarement le prix et donc la gratuité. Le véritable problème repose sur la réalité du besoin que vous souhaitez couvrir. Si votre besoin est réel et que les références le permettent, vous pourrez vendre votre produit au prix que vous le souhaitez. En revanche, si votre service est actuellement gratuit il faudra apporter une réelle valeur ajoutée pour convertir les utilisateurs (soit en service payant, soit en temps consacré, soit en interaction…)
Vous pouvez faire du gratuit, mais si vous avez un business model prouvé. Les finances d’une entreprise sont trop fragiles pour jouer l’avenir à la roulette russe avec le gratuit.