Si actuellement 58% de la population mondiale vit en ville, ce taux avoisinera 80% en 2050, soit près de 7,2 milliards d’humains, selon les estimations de l’ONU. Pour répondre aux besoins alimentaires des zones urbanisées, l’ONU et la Food and Agriculture Organization (FAO) préconisent de recourir à l’agriculture urbaine, notamment dans les villes et les pays pauvres. S’il existe déjà 70 millions d’hectares d’agriculture urbaine, elle connait ces dernières années un véritable engouement porté par l’intérêt grandissant autours des questions d’alimentation, les enjeux de croissance démographique et le dérèglement climatique. En envisageant une plus grande interaction entre les villes et la nature, l’agriculture urbaine contribue à penser des métropoles plus sociales, vivables et suffisantes. Portée par les citoyens, collectivités, architectes, associations et startups, des projets éclosent partout autour de la planète : immeubles futuristes, potagers partagés, cultures sur toits, culture verticales avec des objectifs tout aussi hétérogènes: mieux manger, autosuffisance, réappropriation citoyenne de la ville, lien social, éducation, environnement, sécurité alimentaire, production intensive.
Dickson Despommier, microbiologiste et ancien professeur de santé environnementale à Columbia est reconnu comme le maitre à penser de l’agriculture verticale. Selon ses estimations, il faudrait cultiver 1 milliard d’hectares supplémentaire avec les techniques agricoles actuelles pour nourrir la population en 2050. Or, près de 80% des terres arables sont déjà exploitée, et près de 15% d’entre elles sont considérées comme improductives à cause de la surexploitation agricole. Ainsi, pour faire face à ces besoins sans engendrer une déforestation massive, le développement de l’agriculture urbaine est indispensable. En 2010, avec ses étudiants, Dickson a calculé que l’espace cultivable des toits de Manhattan ne permettait de nourrir que 2% de la population. L’idée de l’agriculture verticale s’est alors imposée : « Si vous avez six étages, ça fait six fois plus de nourriture, et vous pouvez ainsi nourrir 12 % des gens de Manhattan. C’est de cette façon que nous sommes arrivés au concept de ferme verticale »
De la terre au food computer
Après l’implantation de potagers dans les espaces urbains vacants, l’agriculture urbaine s’est poursuivie par l’installation de serres sur les toits, offrant des perspectives plus productives. Depuis, les progrès technologiques ont permis des avancées majeures pour l’agriculture hors sol, notamment l’amélioration des performances des lampes LED, qui ont doublé en efficacité tout en diminuant leur prix de 85%. L’agriculture hydroponique et aéroponique, considérés comme des agricultures numériques, se sont alors développée. L’hydroponie, permet de cultiver sans aucune terre et avec un besoin en eau très limité : des lampes LED remplacent le soleil et des nuages d’eau enrichis de nutriments assurent les fonctions vitales des plantations. L’aquaponie mixe, quant à elle, la pisciculture et la production végétale, en créant un écosystème fertile et sans terre. Les poissons produisent de l’engrais pour les plantations de l’étage supérieur, plantées dans du sable ou de la roche. Tous les éléments de la production sont alors contrôlés : le type et la quantité de lumière, la température, l’humidité et les micros-nutriment. Les aléas saisonniers, climatiques et environnementaux ainsi que les contraintes de repos des sols sont alors supprimés.
Bardées de technologies, ces cultures sont monitorées par des capteurs permettant d’ajuster la formule, comme on le ferait pour une recette de cuisine. OpenAG, est une initiative de « food computer » menée par le laboratoire open agriculture initiative du MIT, qui a pour mission de recréer les environnements de production idéaux grâce aux technologies. Les meilleures « recettes » sont ensuite partagées en open source à la communauté qui pourra ensuite les reproduire à la demande, partout dans le monde. Les résultats partagés par Open AG sont très prometteurs, démontrant une poussée 4 à 5 fois plus rapide et une réduction d’eau de près de 70%.
Détroit et Shangaï, villes pionnières
Si dans les villes des pays sous-développés, l’agriculture urbaine répond à un besoin immédiat pour nourrir les populations, cela représente encore un processus d’anticipation pour les villes occidentalisées. Ainsi l’agriculture urbaine est encore associée à la notion d’organisation sociale, de qualité de vie et d’impact environnemental qu’à celui de productivisme et de ce fait les projets sont encore majoritairement porté par des bénévoles. Pourtant, les initiatives se multiplient et se professionnalisent. En Amérique du nord, les fermes Montréalaises Lufa ont été les premières serres urbaines sur toit. Portée par une forte volonté politique et citoyenne, près de 42 % des Montréalais participent aujourd’hui à une forme d’agriculture urbaine. Détroit est aussi un cas d’école intéressant, l’agriculture urbaine ayant offert à la ville une reconversion étonnante. Ancien bastion de l’industrie automobile américaine, la ville a subit de plein fouet la crise de 2007 et déposé le bilan en 2011. Gravement sinistrée, avec un taux de chômage supérieur à 50%, de nombreux terrains vacants se sont alors transformés en terre cultivées afin d’offrir aux habitants une réponse directe aux besoins alimentaires.
Ambitieuse, la ville d’Albi vise d’ici 2020 l’autosubsistance alimentaire pour l’ensemble de ses 52 000 habitants.
En novembre 2016, Detroit a inauguré AgriHood, le premier quartier agricole à grande échelle situé en plein cœur de ville. Durable et bio, AgriHood est basé sur le volontariat et garantit la gratuité de tous ses produits soit près de 22 tonnes de produits frais donnés à près de 2 000 foyers aux revenus modestes. En 2018 un quartier de Détroit accueillera le premier centre de recherche sur les aliments urbains de l’université du Michigan. Pour Anna K. Simon, présidente de l’université « ce centre de recherche et de vulgarisation est le résultat d’années de discussions avec les dirigeants et les résidents de Detroit. La production alimentaire est un défi mondial de plus en plus urbain, et la ville de Detroit a le potentiel d’être autant précurseur dans l’innovation alimentaire que ce qu’elle l’a été dans l’automobile ». A l’heure actuelle, Detroit compte plus de 1400 fermes et s’impose comme la ville leader de la consommation citadine occidentale. Chicago adopte aussi une position pionnière. La startup Gotham Green y a installé l’une des plus grande serre urbaine, représentant près de 23 0000 m2 et un objectif de production de 10 millions de salades et 500 tonnes de légumes par an. En Europe, la ferme aquaponique UF002 De Schilde basée à La Haye enregistre l’une des plus grande surface de production. En France, la tradition agricole a semble-t-il longtemps freiné le développement des innovations d’agriculture urbaine. Mais ces dernières années, les projets se sont multipliés sur le territoire : Mulhouse (Wittenheim), Tours (les Jardins Perchés) ou encore Lyon (Ferme Urbaine) produisent déjà des tonnes de légumes. Ambitieuse, la ville d’Albi vise d’ici 2020 l’autosubsistance alimentaire pour l’ensemble de ses 52 000 habitants. Paris est aussi en cours de transformation, notamment avec l’initiative Parisculteur qui a pour objectif de végétaliser 100 hectares dans la capitale d’ici 2020. Pour se faire, des dizaines d’entreprises, startups et associations mènent des initiatives sur une trentaine de sites mis à disposition par la Mairie, comme l’agriculture urbaine et la végétalisation des toits et des facades.
Les expérimentations les plus innovantes sont menées en Asie où les villes comme Hong Kong, Shangai ou Singapour enregistrent des taux record de concentration de population et de dépendance alimentaire. Par exemple, Singapour, la deuxième ville du monde en terme de densité de population, assure 90% des besoins alimentaires avec l’importation. Pour ces villes-pays, l’agriculture verticale représente un enjeu décisif pour limiter la dépendance alimentaire. Ainsi, Sky Greens, la première ferme verticale de Singapour a vu le jour en 2012. Basée sur un système de production rotatif en hydroponie, 120 tours produisent jusqu’à une demi-tonne de légumes par jour, alimentés par des bacs d’eau et de substrat. D’après Sky Greens, il faudrait un terrain dix fois plus vaste et deux fois plus de main-d’œuvre pour obtenir des résultats identiques avec l’agriculture horizontale. Aujourd’hui Sky Greens fournit environ 1 % des besoins de l’île en légumes verts, notamment au travers d’une distribution directe auprès de l’une des principales chaines de supermarché de la ville.
Startup, un modèle difficile à trouver
Malgré une dynamique forte, l’équilibre reste fragile. D’un point de vue financier et règlementaire, la plupart des projets sont encore dépendants des collectivités et des majors du BTP, d’autant plus que les espaces disponibles sont rares. Cependant, Mikaël Gandecki, managing partner de Myfood est confiant : « Les réglementations évoluent dans le bon sens et offrent à l’heure actuelle suffisamment de liberté aux particuliers pour se lancer activement dans la production, sur sa terrasse, son toit, son balcon ou son jardin ». Pour la plupart des institutions, l’agriculture urbaine reste encore un sujet marginal dans la gestion des politiques agricoles, le soutien et la préservation des productions existantes étant privilégiés. A ce jour, la mairie de Paris semble plutôt militer pour une agriculture « Low tech » propice à l’amélioration de la biodiversité et du cadre de vie plutôt que sur le productivisme agricole. Mais pour Mickaël Gandecki, il faut encourager l’agriculture urbaine dans son ensemble et de ne pas opposer les méthodes : « Chez Myfood, nous combinons l’approche horizontale et verticales pour créer des synergies. La matière organique issue des filtres de la partie aquaponie verticale est riche en azote. Ces résidus sont alors utilisés directement dans les buttes de culture. Dans l’autre sens, les espèces mellifères des buttes attirent les insectes pollinisateurs dans la serre qui profitent aussi aux cultures verticales. Au cours des saisons, on profite de cette complémentarité afin de diversifier les cultures. Les végétaux dits « racines » (radis, carotte, navet) se développeront en permaculture alors que les « racines courtes » (épinard, haricot, salade, chou kale) se plairont à la verticale dans les tours de culture. »
Pour les fermes urbaines dont le modèle repose sur la vente de production agricole, l’accès aux financements externe est indispensable pour atteindre l’effet de volume indispensable à la rentabilité. Dans cette optique, la startup française Agricool a levé 8 millions d’euros auprès d’investisseurs privés au cours de l’année 2017, pour produire et vendre des fraises en plein Paris. A l’échelle internationale, les startups leader accélèrent leur développement, comme Aerofarms qui a levé plus de 60 millions de dollars et prévoit d’ouvrir 25 fermes sur les quatre continents d’ici 2020. La startup Plenty qui vient seulement de souffler sa troisième bougie, vient de boucler un financement de 200 millions d’euros, notamment auprès de Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon.
Pour autant, les récents échecs dans le secteur poussent à un peu de prudence, les difficultés étant encore nombreuses. Google a notamment arrêté en 2016, faute de résultat probant, l’un de ses projets «Moonshot» d’agriculture verticale automatique destiné à produire en intérieur du riz ou des céréales. Le passage à une production de grande échelle est aussi un enjeu central pour assurer une certaine rentabilité. Podponics, une startup d’Atlanta qui avait levé 15 millions de dollars, et Verticrop, une startup de Vancouver, ont toutes les deux déposées le bilan faute d’avoir réussi à trouver un modèle de production moins coûteux et gourmand en main d’œuvre. Par ailleurs, l’enjeu de maturité technologique reste central. La consommation énergétique nécessaire pour chauffer, éclairer et ventiler les cultures verticales reste encore très importante. De plus, la fiabilité et les performances du matériel de production est encore à éprouver : Farmed Her, la plus grande ferme Aquaponique des Etats Unis a fermé ses portes, notamment du fait de difficultés rencontrée avec ses LED. Comme dans la majorité des industries, la démocratisation et la diffusion des technologies permettront d’augmenter les performances et réduire les coûts dans les années à venir. D’ici ce momentum, les startups de l’agriculture urbaine devront être en mesure d’innover et de s’ajuster.