C’est l’une de ces règles non écrites mais communément admises par tous : entreprendre en solo est un véritable parcours du combattant, où beaucoup laissent des plumes, des euros, et parfois même leur santé mentale… L’une des raisons invoquées : accélérateurs, incubateurs et investisseurs en capital-risque misent en priorité sur des équipes. Car si vous n’êtes pas capable de convaincre une seule personne de rejoindre votre équipe, pourquoi un investisseur se laisserait-il séduire ? Et se lancer à deux n’est pas automatiquement plus facile, surtout quand ce n’est pas avec la bonne personne : incompatibilité, tension, conflits, autant d’effets secondaires pouvant enrayer une association en théorie parfaite.
Deux entrepreneurs témoignent.
Solo-entrepreneur : un tour de force qui frôle l’impossible
Jonathan Levitre est le fondateur de MyTwist, une app’ qui connectaient les consommateurs aux dressings de leur ville pour leur donner accès à des pièces de seconde main via une interface de type « swipe-to-like » à la Tinder. L’idée était bonne, et la réalisation très prometteuse, mais après deux ans de travail acharné, le jeune homme, exsangue à force de tout porter tout seul, s’est vu contraint de jeter l’éponge.
Ma startup était en train de me consumer, littéralement!
Alors bien sûr, Jonathan a essayé de trouver la perle rare pour s’associer, mais sans succès, faute de timing ou mauvais fit : « Claire* était un peu trop junior, Mathieu* n’avait pas les qualités que je recherchais, Sophie* peut-être pas assez motivée… Et c’est compréhensible, car il est difficile d’embarquer des gens dans un projet qui n’est à la base pas le leur et dont on ne peut garantir la survie à deux mois. » Jonathan a pourtant frappé à toutes les portes, amis ou personnes rencontrées lors d’évènements organisés par l’écosystème, qu’il écumait consciencieusement.
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Persévérant et décidé à toujours voir le verre à moitié plein, l’entrepreneur a poursuivi seul le développement de son projet. « Etre solo-entrepreneur n’a pas été un choix », confie-t-il. « Si j’avais pu faire partie d’une équipe talentueuse, j’aurais signé de suite. Étant toujours optimiste, je me suis finalement dit qu’en lançant mon produit et qu’avec un peu de traction, un recrutement serait plus aisé. » A trois reprises, le jeune entrepreneur manque de peu de s’associer, et ce même si l’alchimie n’est pas vraiment au rendez-vous. « Je voyais le cash qui s’amenuisait, j’étais dos au mur, je devais monter une équipe au plus vite… »
La situation le pousse même à embarquer un ami de prépa qu’il prépare lors d’une nuit blanche pour pitcher auprès d’un incubateur et donner le change…
Après avoir pris un peu de temps (sieste, soirée, vacances, soleil, vélo, grasse mat’) pour se remettre de ses mésaventures, Jonathan a pris du recul et définit les raisons pour lesquelles il n’est pas bon d’entreprendre en solo : garder un meilleur équilibre vie pro et perso, faire le plein d’énergie lors des (nombreuses !) épreuves et baisses de moral, confronter ses idées, s’entourer de compétences complémentaires aux siennes, grandir plus vite, et bien entendu, lever des fonds.
Trois ans après avoir mis la clé sous la porte, sa perspective sur les choses a encore un peu évolué. « Si c’était à refaire, je ne me lancerais absolument pas seul. Je me rends compte que l’équipe est plus importante que l’idée. Même si on est pas dans la bonne direction, une équipe constituée de talents complémentaires saura toujours rebondir et même pivoter si nécessaire. »
Ce n’est pas pour autant que le jeune homme recommande de s’associer à tout prix. « Je dirais que c’est plus une rencontre, une affinité, qui doit provoquer l’aventure. Un momentum se créé alors et le projet se lance naturellement. Forcer le truc, c’est se créer des problèmes par la suite… »
Trouver associé à son pied
Car mal s’associer peut s’avérer tout aussi fatal qu’entreprendre en solo… Jay Z vous le dirait : en lançant votre boite, vous aurez 99 problèmes, alors autant éviter que votre associé ne devienne l’un d’entre eux. C’est le constat auquel s’est heurté Donatienne Lefort, actuellement Directrice Conseil et AMOA chez Boléro.
Il y a environ 4 ans, Donatienne s’est vue forcée de quitter l’agence de com’ digitale qu’elle avait cofondée en 2013. « Je me suis rendue compte que Claire* et moi étions complémentaires sur le papier, mais incompatibles sur le long terme, et notre collaboration est vite devenue source de frictions et de rancœurs, qui avec le temps se sont cristallisées pour déboucher sur des conflits. En fait, nous étions trop différentes en tout. »
Tout marchait pour le mieux, dans un équilibre parfait…jusqu’à ce que cela ne soit plus le cas.
Bien souvent, l’accent est mis sur la confiance, primordiale pour démarrer toute collaboration. Pour Donatienne, elle n’est pas suffisante. « C’est plus une question de mindset. Claire et moi étions le yin et le yang, elle l’extérieure, moi l’intérieur. Tout marchait pour le mieux, dans un équilibre parfait…jusqu’à ce que cela ne soit plus le cas. » Donatienne se rappelle d’un rendez-vous à la banque ou son associée et elle présentaient leur patrimoine. Donatienne, plus précautionneuse et raisonnable, a misé sur l’immobilier. Claire, uniquement sur des investissements à risque… « C’était très révélateur de nos natures opposées. Nos différences auraient pu être une force. Elles nous ont en fait plombé », confie la jeune femme. « Elle me trouvait trop réservée, je la trouvais trop pressée… »
Nos différences auraient pu être une force. Elles nous ont en fait plombé.
En plus de leur nature, Donatienne a identifié un autre facteur délétère. Au moment de lancer leur entreprise, elle connaît Claire*, une amie de la famille, depuis près de 30 ans… Son associée est un peu plus âgée, plus expérimentée, et a au préalable posé les bases de ce que sera l’agence. Pour toutes ses raisons, Donatienne observe la construction d’un rapport de hiérarchie qui n’annonçait rien de bon… « Je la voyais un peu comme une grande sœur. Tout au long de notre association, j’ai toujours souhaité éviter les conflits, j’ai souvent dit ‘fais comme tu veux’ et été trop »bonne pâte », car j’avais le sentiment de lui être redevable pour m’avoir choisie. »
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Dans cet état d’esprit Donatienne ne s’est pas protégée juridiquement comme elle l’aurait dû. Alors au moment où les choses se sont gâtées, elle n’a pu s’en remettre aux conseils de son avocat, et en a souffert. Au moment de quitter sa boite, elle s’est retrouvée démunie : « Je me reposais sur les conseils d’amis que je grappillais à droite à gauche, et mon unique interlocuteur était Claire, avec qui ma relation était envenimée. J’étais trop dans l’émotionnel, alors que c’est un moment où l’on a besoin de raisonner de manière plus rationnelle. Beaucoup de gens m’ont conseillé de poursuivre mon associé en justice, mais je ne pouvais m’y résoudre… »
Qu’à cela ne tienne, ni amertume ou regret chez Jonathan ou Donatienne. Si leur expérience aussi harassante qu’enrichissante a pu les refroidir, elle ne les a toutefois pas dégoutés de l’entreprenariat, qui de temps à autre leur trotte encore dans un coin de la tête.
Les conseils de John et Donatienne pour bien s’associer :
- Recruter son associé parmi des collègues avec qui vous avez déjà étroitement travaillé.
- Si vous n’avez jamais collaboré avec votre futur associé, commencez par travailler sur des projets annexes, en tant que free-lance par exemple, pour tester votre dynamique sur de petits projets.
- Vérifier les incompatibilités de caractères via un test MBTI.
- Partir longtemps en vacances avec l’heureux élu pour vraiment mieux comprendre le fonctionnement de la personne et son rapport à l’argent.
- Bien penser à se protéger juridiquement en prenant son propre avocat pour représenter ses intérêts.
* Ces prénoms ont été modifiés
Crédit photo : David Di Veroli on Unsplash, Cris Saur on Unsplash