Marc Rougier aime les métaphores. Passionné de voyage, il décrit l’entrepreneur comme un grand voyageur, en recherche de découvertes, qui s’enrichit de ses rencontres et de sa quête personnelle. Ce grand voyageur, par ailleurs passionné de moto et de rugby est l’un des entrepreneurs Français les plus connus dans le monde des start-up. Jusqu’ici installé à San Francisco pour développer sa start-up Scoopit, Marc Rougier reviendra s’installer en France début 2016 pour diriger le tout nouveau fond d’Elaia, consacré au early stage technology. Portrait d’un entrepreneur au parcours éclectique.
Lorsque je commence l’échange avec Marc Rougier, je perçois rapidement la force tranquille qui sommeille en lui. Pas d’exubérance, mais une véritable passion et bienveillance pour l’entrepreneur qui comptabilise près de 25 années d’entrepreneuriat, et dont les yeux brillent encore quand il parle de son équipe.
Son parcours débute à Montréal, où il s’exile pour réaliser une thèse sur l’intelligence artificielle. Piqué par la culture entrepreneuriale ambiante, il décide d’abandonner sa thèse pour lancer une première société. Après l’avoir revendu pour une somme symbolique, il est embauché par Thales où il sillonne le monde pour développer de nouveaux marchés. Mais il n’arrive pas à percer aux US. Qu’à cela ne tienne, il quitte Thales pour créer une nouvelle société Meiosys, qu’il développe depuis Washington. Œuvrant dans la virtualisation d’applications, sa société propose des solutions techniques permettant de décorréler le fonctionnement d’une application de son OS.
Meiosys est revendue en 2005 à IBM, et Marc Rougier devient alors directeur du développement pour IBM, où il procède à des opérations d’acquisition pour la multinationale à travers le monde.
Mais pas trop longtemps… parce qu’il aime créer : la rupture et l’innovation c’est dans son ADN, pas tellement le développement… Fin 2006, il se replonge dans l’entrepreneuriat avec Ludovic Le Moan et Guillaume Decugis. Ensemble ils créent la société Goojet, dont l’objectif est de faire entrer internet dans le téléphone. Aujourd’hui c’est une évidence, mais en 2006, l’iPhone n’existait pas encore ! À la sortie de l’iPhone et de l’Apple store, le marché devient difficile à pénétrer : « On s’est entêté trop longtemps ! Nous avons pivoté fin 2010, et nous sommes donnés 6 semaines pour sortir un nouveau produit. L’entrepreneur doit vivre avec une contradiction : être entêté et déterminé, mais aussi savoir être très flexible et à l’écoute des signaux. Il faut être schizophrène! Une fois la décision prise de pivoter, nous avons tout mis en œuvre pour développer Scoopit. Et c’est allé très vite : 7 Millions de visiteurs en 18 mois en croissance organique. » Une fois la traction passée se pose la question du business model et de la monétisation du service. Le modèle SAAS en B2B s’impose, avec pour cible prioritaire les PME.
Je crois qu’il faut suivre son propre rythme en tant qu’entrepreneur. Ce qui m’anime c’est la création, la rupture et l’innovation.
Scoopit est maintenant sur les rails, le modèle est établi, l’équipe en place développe la société.
Marc Rougier reçoit alors la proposition de rejoindre Elaia, pour diriger un tout nouveau fond dont le positionnement est l’early stage technology. « Pour moi l’entrepreneuriat c’est avant tout une aventure humaine. J’aime partager et rencontrer des personnes inspirantes, j’aime me rendre utile ! J’ai été entrepreneur, acquéreur de sociétés, l’investissement je connaissais un peu en tant que Business Angels, mais intégrer un fond me permettait alors de boucler le 360°. Je crois qu’il faut suivre son propre rythme en tant qu’entrepreneur. Ce qui m’anime c’est la création et l’innovation, je pense que je suis moins performant lorsque les choses sont en place ! Mais faire le choix de rejoindre Elaia est l’un des choix les plus difficiles que j’ai dû faire dans ma carrière. Mon équipe est incroyable et j’ai un dévouement total pour Scoopit. Mais l’appel de l’aventure résonnait plus fort. Si ce n’est jamais facile d’assumer un choix personnel, je sais que je l’ai fait au bon moment et que cela n’entravera pas le développement de la société, car nous avons les bonnes personnes à la bonne place. »
Ce dilemme du fondateur me fait échos. Ce point revient souvent dans les échanges avec les startupers, qui sont parfois plus des bâtisseurs que des consolidateurs. Comment ne pas laisser la lassitude s’installer au bout d’un certain nombre d’années, alors même qu’il est difficile d’envisager de laisser son bébé grandir sans soi ? Marc Rougier a le courage d’assumer cette distorsion et de faire le choix qui lui semble le plus naturel. Et utile.
Le dynamisme entrepreneurial est incroyable en France. Peut-être que toutes les cartes ne sont pas encore jouées, et que nous pouvons prendre une place de choix sur l’économie qui s’en vient.
Contribuer à changer la face du financement en intégrant une approche plus entrepreneuriale est l’un de ses objectifs : « Aux US, beaucoup d’entrepreneurs travaillent dans des fonds. En Europe les fonds sont souvent gérés par des financiers, qui ont une vision parfois trop économique. L’entrepreneuriat et la réussite d’une entreprise c’est selon moi avant tout de l’humain. Si la notion économique est clef, le capital humain l’est tout autant. Elaia souhaitait vraiment intégrer la vision entrepreneuriale et internationale au cœur de leur stratégie d’investissement, j’ai été séduit par leur approche». Par ailleurs, la France est en pleine mutation, et c’est le moment où jamais de faire de la France un pays qui compte économiquement « Le dynamisme entrepreneurial est incroyable en France. Peut-être que toutes les cartes ne sont pas encore jouées, et que nous pouvons prendre une place de choix sur l’économie qui s’en vient. L’économie collaborative, les objets connectés, le big data… nous avons des talents en France, et nous devons faire en sorte qu’ils deviennent des leaders mondiaux ».
Elaia sera donc son nouveau challenge pour 2016. Entre défi personnel et acte militant. Après s’être engagé auprès des entrepreneurs à titre personnel en tant que business angels, il agira maintenant en tant que VC.
« Les critères principaux d’investissement sont proches. Mais en tant que VC, je vais pouvoir m’appuyer sur une méthodologie professionnelle, et devoir me familiariser avec le modèle de portefeuille. Chose qui m’est totalement inconnue en tant que Business Angels, où l’intuition et l’entregent étaient mes seuls critères de décision. »
L’arrivée de Marc Rougier à la tête du nouveau fonds d’Elaia est une bonne nouvelle pour l’écosystème start-up. La preuve que derrière les millions et la course à la création, les valeurs humaines peuvent trouver leur place et essaimer.