« J’ai trouvé 44 bugs sur le site ! » s’écrie Hugo, la trentaine passée, avec un enthousiasme contagieux. Son voisin de bureau acquiesce, habitué à cette situation depuis un an. C’est dans les bureaux marseillais de Stardust, entre les studios de la série Plus Belle La Vie et ceux de l’incubateur Belle de Mai, que Mehdi sévit. Ce jeune homme de 26 ans, assis dans un grand fauteuil de bureau, caché derrière ses deux écrans, est chasseur de bugs. En 2015, après des expériences comme administrateur réseaux et formateur en informatique, Mehdi débarque chez Stardust. « Je cherchais de la stabilité. J’assume totalement de dire que je suis venu pour le CDI. Je ne pensais pas trouver ici un métier dans lequel je m’éclate autant ». Loin des clichés sur les métiers-passion, les testeurs – puisque c’est le nom donné à ce métier – allient pragmatisme, rigueur et capacité d’adaptation hors-norme. Et si personne n’est vraiment formé à ce métier et qu’il est accessible à tous, Mehdi explique qu’avoir une culture web est primordiale.
De 3 à 7 testeurs par campagne
Dans cet open-space dans lequel des coffres-forts ouverts font office de placards de rangement, près de 40 personnes traquent, testent et analysent des sites internet, des applications et des objets connectés. Alors qu’il échange avec Sophie, « test-manager », Mehdi nous interpelle. « On pourrait croire que c’est un métier solitaire que l’on fait depuis chez soi dans le noir avec un casque audio vissé sur les oreilles, mais la dimension collaborative est hyper importante ! » Si certains collègues de Mehdi ont bien le casque sur les oreilles, la promesse de l’entreprise à ses clients de chasser les bugs sur tous les supports possibles rend obligatoire le travail d’équipe. Des différentes versions d’OS, aux différents types de smartphones, en passant par les tablettes et tous les navigateurs existants, tout y passe. Sur certaines campagnes à gros budget, les équipes peuvent compter jusqu’à 7 testeurs. Mehdi, qui depuis peu a été promu au poste de « test leader », gère actuellement, avec 4 autres testeurs, une campagne pour une grande entreprise française qui lance une nouvelle version de son site internet. « Ce n’est pas de trop, précise-t-il.
On chasse tout type de bug. Il y a les bugs fonctionnels, comme un bouton ou un formulaire qui ne fonctionne pas ou qui renvoie vers une page 404. Les bugs graphiques, comme une couleur ou une police qui ne s’affiche pas et les bugs de « wording ». Par exemple, une faute d’orthographe ou un paragraphe mal aligné. » Mais tous les bugs ne sont pas logés à la même enseigne. Ils sont classés par ordre d’importance en trois niveaux. Niveau mineur, cela correspond à une mauvaise teinte de couleur sur un bouton par exemple, un détail. Niveau majeur, cela peut être une absence de page dans le menu principal, un bug grave, mais qui n‘empêche pas la navigation. Enfin, le niveau bloquant concerne les bugs de type page 404, les boutons de redirection morts ou l’impossibilité de valider un panier.
Inspecteur des travaux finis 2.0
À en croire les échanges de la petite équipe, cette campagne est fructueuse. Un testeur recruté dernièrement se réjouit des résultats obtenus, mais Mehdi reste stoïque. « Il y a tellement de bugs qu’au bout d’un moment il n’y a plus de surprise. Il n’y a jamais de sans-faute. Bien sûr, quand je trouve un bug vraiment critique je suis satisfait, dans ces moments-là j’ai vraiment l’impression d’être dans mon rôle « d’inspecteur des travaux finis ». À chaque bug trouvé, je dois en apporter la preuve, soit avec une capture de l’écran, soit avec une vidéo. Quand je fais une vidéo pour attester de ma trouvaille, c’est que le bug est complexe et que j’ai été performant dans ma chasse ». Certaines campagnes sont totalement guidées selon des processus de test précis, élaborés par la startup et ne laissant que peu de place à l’appréciation du testeur. «L’avantage avec ce métier c’est que même quand cela devient redondant, ça ne le reste pas longtemps. On peut passer trois jours sur une application et enchaîner cinq jours sur un barbecue connecté. Pour ma part, je préfère les campagnes « exploratoires ». Elles se concentrent vraiment sur le ressenti du testeur et permettent de se glisser dans la peau de l’utilisateur lambda ».
Pour des campagnes de tests, les chasseurs de bugs peuvent passer plusieurs mois chez le client. « J’ai passé un mois à Lyon dernièrement. Je pense que tous les testeurs devraient partir en régie (nom donné par Stardust à ce type de test, NDLR) au moins une fois pour comprendre l’importance de leur rôle. Être au contact des gens, ressentir la pression qui pèse sur leurs épaules et partager leurs inquiétudes concrétise notre tâche de chasseur de bugs. J’ai ouvert les yeux sur le fait que certains de nos clients nous confient leur « bébé ». On n’a pas le droit de les décevoir en faisant un travail bâclé. Même si je me sens plus investi quand c’est un « petit » client parce que je sais le budget que cela représente pour ces structures. » Une relation de confiance qui se crée aussi grâce à des NDA et une confidentialité absolue. « On me demande souvent de parler de mon métier. J’arrive assez facilement à faire comprendre ce que je fais, mais à chaque fois les gens essayent de savoir sur quoi je travaille actuellement. C’est top secret, » raconte Mehdi.
On peut passer trois jours sur une application et enchaîner cinq jours sur un barbecue connecté.
Après les tests ? Toujours des tests !
La société de testing assure un dernier suivi pour retester les sites et les applications après correction. Une ultime vérification pour s’assurer que tous les bugs ont été chassés, mais aussi pour que la correction d’un bug n’en ait pas créé un nouveau. Stardust ne réalise aucune modification ni correction. C’est un choix stratégique, comment pourrait-on être neutre et objectif en facturant les corrections ? Un argument de confiance pour les clients, mais parfois une cause de frustration pour les testeurs. « Il arrive aussi que les bugs ne soient pas corrigés. Rarement, mais la frustration fait aussi partie de ce métier, » explique Mehdi. S’il confirme avoir un attachement particulier aux marques pour lesquelles il a chassé, Mehdi se dit satisfait quand les entreprises sortent les applications ou les objets connectés qu’il a testés. Et quand il s’agit de savoir s’il retourne visiter les sites chassés le week-end, Mehdi répond d’abord : « jamais… après trois ou quatre jours on est pas loin de l’overdose. Je les ai trop vus pour considérer ça comme de la détente ! » Après un moment de réflexion, il se corrige, non sans une pointe de fierté dans la voix : « ah si…il y a une application de musique que j’utilise, le client était sympathique et il avait corrigé tous les bugs que l’on avait signalés, mais c’est la seule ! » Parole de testeur.