Il existe aujourd’hui la possibilité de consommer des substances qui amélioreraient les capacités cognitives ou tout du moins, renforcerait certaines dispositions au travail. Une sorte de dopage du cerveau. Plantes naturelles, médicaments, drogues, ces substances sont plus communément appelées nootropiques ou nootropes et tirent leur origine du grec “noon tropein” signifiant “courber l’esprit”. Leurs partisans mettent en avant l’absence d’effets néfastes d’un point de vue sanitaire et la sensation de manque physique inexistante au moment de l’interruption de leur consommation, contrairement à certains produits.
En Amérique du Nord, cette consommation est surtout populaire au sein de l’enseignement supérieur où l’intensification de la compétition entre étudiants pousse de plus en plus d’élèves à adopter les smart drugs afin d’augmenter leur capacité de concentration et d’assimilation d’informations. C’est d’ailleurs lors d’un échange universitaire à Vancouver qu’Alexandre, fondateur de Noomind, une startup spécialisée dans la production de nootropiques, fait sa première rencontre avec les compléments cérébraux. « J’ai eu l’occasion de rencontrer de nombreux étudiants qui avaient pour habitude de consommer régulièrement des compléments. Au vu de leur enthousiasme pour ces compléments qui agissent sur la fonction cognitive, je me suis donc documenté sur le sujet et ai moi aussi commencé à en consommer”.
Mais de retour en France, Alexandre explique avoir connu une grande frustration. « Alors qu’au Canada les nootropiques étaient déjà très répandus et facilement accessibles, il m’était impossible de trouver des nootropiques fabriqués par une entreprise française, au sein de ses propres laboratoires. J’ai alors décidé de créer le produit que je souhaitais moi-même consommer. Il s’agit d’un « stack » de nootropiques naturels aux effets sur l’énergie, la concentration et la mémoire ».
Et chez les startups ?
Renforcer ses aptitudes cérébrales est une tendance de plus en plus présente au sein de l’écosystème entrepreneurial où concurrence, dynamisme, innovation, règnent en maîtres. D’après une enquête réalisée par Noomind auprès de ses clients, les chefs d’entreprises représenteraient 1 consommateur sur 6.
« Si les entrepreneurs constituent naturellement notre cible, c’est parce que les nootropiques présentent de nombreux avantages sur la fonction cognitive. Ils peuvent en effet leur apporter un gain durable d’énergie, de concentration et de clarté mentale, tout en contribuant à améliorer la mémoire et à neutraliser le stress. C’est pour ces raisons que les nootropiques sont rapidement devenus populaires au sein de la communauté d’entrepreneurs, » estime Alexandre, CEO de Noomind.
Si les entrepreneurs constituent naturellement notre cible, c’est parce que les nootropiques présentent de nombreux avantages sur la fonction cognitive.
D’après Noomind, les professionnels de la santé sont plutôt favorables à l’utilisation de nootropiques. Pour autant, certains mettent en exergue et à juste titre, que des entreprises étrangères sont assez opaques sur la qualité de fabrication de leurs nootropiques ou ont tendance à exagérer les promesses de ces derniers. En juin 2017, NeonMag a raconté l’essai de smart-drugs étrangères, sa conclusion était sans appel : « inutile d’avoir un QI de 280 pour comprendre qu’il s’agit d’une grosse arnaque. » Il est donc important de bien se renseigner sur le sujet et de rappeler que les nootropiques ne sont pas des pilules magiques décuplant le QI instantanément. Au contraire, la valeur fondamentale ici est l’optimisation de la cognition, pas forcément perceptible immédiatement mais qui se produit progressivement. Les professionnels de la santé mettent également en garde sur le fait qu’en aucun cas les nootropiques ne se substituent à une bonne nuit de sommeil et qu’il est primordial d’avoir une alimentation équilibrée et un mode de vie actif.
Le LSD à la merci des startupers !
L’amélioration cognitive, conjuguée à l’ambition entrepreneuriale, pousse certains entrepreneurs à explorer d’autres expériences de consommation, celles-ci illicites. C’est une nouvelle fois depuis la baie de San francisco, creuset des technologies disruptives et de folies entrepreneuriales, qu’émergent de récentes tendances de consommations psychotropes. La Californie, berceau du mouvement hippie des années 60, a ressuscité le LSD hallucinogène emblématique de l’époque. Un nombre croissant d’entrepreneurs de la Silicon Valley déclare avoir consommé une faible quantité de LSD afin de « surperformer » dans leur travail. Il s’avère que le phénomène touche également quelques grands noms de la tech californienne. Bill Gates ou encore hier Steve Jobs ont reconnu l’expérimentation du psychotrope. Qui aurait pu imaginer 50 ans plus tôt une telle destinée à cette drogue symbole d’un courant de contre-culture, rejetant un mode de vie consumériste et capitaliste ?
Comme son nom le précise, le microdosing correspond à une consommation infime de LSD, comprise entre 8 et 15 microgrammes (soit dix fois moins qu’une dose traditionnelle), tous les 3 jours. Les effets sont en tous points différents selon la quantité ingurgitée. Les sensations recherchées à travers l’absorption d’une faible quantité de LSD sont une amélioration de la perception et de la créativité. Très loin des effets psychédéliques et récréatifs décrits par les consommateurs hippies de l’époque. L’achat et la consommation de cette drogue sont interdits aux Etats-Unis mais il est assez simple de s’en fournir grâce à internet. On trouve le psychotrope vendu sous forme de buvards imprégnés de 100 microgrammes de molécule hallucinogène par feuille. Le produit est par la suite découpé en fonction de la quantité désirée.
La recherche s’intensifie. Des études révèlent que le LSD stimulerait la circulation sanguine et particulièrement son débit au niveau du cerveau. En permettant une oxygénation cérébrale améliorée, il optimiserait les connexions entre les différentes régions du cerveau. En résulterait cette sensation largement évoquée “d’élévation de l’esprit et de plus grande concentration” chez l’individu. Les soutiens apportés au microdosing abondent. Les adeptes souhaiteraient même une reconnaissance de la pratique en tant que thérapie médicale.
En janvier 2017, la parution de l’essai “A really good day-How microdosing made a mega difference in my mood, my marriage and my life” écrit par la romancière Ayelet Waldman, a mis en lumière la consommation du psychotrope et normalisé cette pratique. Il est difficile d’estimer le nombre de consommateurs réguliers de LSD, aucun chiffre officiel n’est à ce jour communiqué. Sa procuration illégale explique sans doute le manque d’informations. Dans un article du Financial Times paru début 2018, Diane, jeune startuppeuse de 29 ans, pratiquante du microdosing, révèle se sentir « beaucoup plus loquace et attentive aux propos de son interlocuteur, lors d’événements de réseautage ».
Oui mais …
Pourtant de nombreuses questions se posent : quels sont les risques sanitaires ? quels changements cette nouvelle pratique est-elle susceptible d’amorcer ? Et plus largement quelles conséquences pourrait-elle entraîner sur notre société ?
Alexandre, particulièrement informé sur le sujet, souligne les dangers de cette nouvelle mode. « Bien que de nombreux témoignages lus sur internet indiquent que le microdosing de LSD aurait des effets positifs sur la créativité, l’énergie, la concentration et aiderait à réduire le sentiment d’anxiété, je déconseille cette pratique. La consommation de ce produit psychédélique est illégale, il y a un risque de dépendance et pour l’instant les conséquences du microdosage de LSD sur le long terme sont inconnues. »
Bien qu’en croissance constante, le marché français, en retard par rapport au marché américain, se limite aujourd’hui essentiellement à des clients « pionniers ».
Certains peuvent vanter les bienfaits de tel ou tel produit porteur d’amélioration sur certains fonctionnements cérébraux mais la réserve reste de mise, à ce jour les recherches menées ne sont pas encore suffisantes. Dans le cas du LSD, les principales recherches ont été élaborées à partir de populations animales, l’étendue des effets sur la santé humaine n’a pu être pleinement mesurée. Il est également important de préciser que les sensations peuvent sensiblement varier d’un individu à l’autre en fonction de paramètres physiologiques et mentaux (humeur initiale, poids de la personne).
Le microdosage de LSD à la manière de certaines prescriptions médicamenteuses (comme les antidépresseurs) peut permettre de masquer certains symptômes d’un mal-être professionnel profond mais en aucun cas le réparer, à court terme il peut apparaître comme une solution au problème, en revanche à long terme il pourrait avoir des effets dévastateurs.
Concernant les nootropiques, malgré ce que soutiennent leurs partisans, il apparaît un risque potentiel de développement de comportement addictif. Il y a fort à parier qu’une personne coutumière de leur consommation et observant une amélioration significative de son comportement au travail, sera tentée d’en consommer plus régulièrement au point d’en faire un besoin quotidien.
Pourtant, le dopage cérébral a un bel avenir devant lui !
Dans une société où les impératifs et enjeux d’efficacité vont croissant, l’accélération apportée par l’utilisation du numérique au sein des services et activités professionnelles tend à renforcer l’usage de stimulants cérébraux. La capacité de ces produits à permettre à un individu de produire plus peut en laisser plus d’un rêveur. D’après le dernier rapport publié fin 2016 par Credence Research, le marché mondial des nootropiques a été évalué à 1,3 milliards de dollars en 2015 et devrait dépasser les 6 milliards de dollars d’ici 2024, avec un taux de croissance annuel moyen aux alentours de 17,9% de 2016 à 2024.
Selon le fondateur de Noomind, le marché des nootropiques va énormément évoluer et de nouveaux marchés vont apparaître. « Bien qu’en croissance constante, le marché français, en retard par rapport au marché américain, se limite aujourd’hui essentiellement à des clients « pionniers ». Nous anticipons cependant une accélération de cette croissance dans les années à venir à mesure que le public sera rassuré quant aux bienfaits fondamentaux des nootropiques naturels. Le marché des nootropiques devrait également connaître un essor rapide en Chine. C’est un pays qui concentre un nombre important de producteurs de compléments alimentaires, où la pharmacopée se fonde principalement sur les ingrédients à base de plantes et de minéraux et dont la demande pour ce type de produits croît considérablement. »
Et si l’amélioration cognitive devenait la norme ?
La performance au travail est une composante déterminante dans la réussite professionnelle mais elle ne constitue pas le seul facteur explicatif, loin s’en faut. La satisfaction dans son travail rejoint la notion d’efficacité mais également d’autres composantes telles que le bien-être. Il est possible d’admettre que, dans un avenir plus ou moins proche, soit développé le parfait optimisateur cérébral dont les bénéfices sur les “rendements intellectuels“ seraient unanimement reconnus par un panel de scientifiques.
Le danger serait que chaque individu, pour atteindre un niveau de performance optimal, puisse consommer presque machinalement ledit produit, sans même compter sur ses capacités cérébrales inchangées. Ceci aurait pour effet d’altérer le mécanisme de neuroplasticité qui permet naturellement à notre cerveau d’améliorer ses performances au travers d’exercices répétés. Les obstacles, les échecs parfois, ne sont pas une fatalité mais constituent des étapes cruciales dans l’apprentissage de nouveaux savoirs. C’est aussi et surtout grâce à l’expérience que chacun se construit, qu’un individu progresse dans son travail et améliore ses capacités à gérer de nouvelles situations professionnelles. Et ça, aucune drogue, aussi smart soit-elle, ne le remplace.