Ben, quelle est la vision de Breega ?
Le fonds est né de notre expérience entrepreneuriale. Depuis toujours, nous sommes convaincus qu’avoir lancé sa propre boîte et savoir ce que ça représente est un plus pour investir en early stage. Outre-Atlantique la majorité des fonds sont gérés par des entrepreneurs, ce n’est pas le cas en Europe. Pour les deals plus avancés dans le temps, les profils issus du private equity ou de la finance ont évidemment leur voix à faire entendre, mais sur des investissements en seed ou série A, avoir l’expérience de la création permet selon nous d’apporter plus de valeur.
L’idée de Breega, c’était de créer une équipe différente. On apporte beaucoup d’expertise, de compétences. On a une équipe opérationnelle de 5 personnes pour aider sur tous les domaines. Par exemple en RH, notamment en early stage, le recrutement de profils performants est une difficulté pour les startups, nous les aidons donc dans leurs recherches. On a aussi un business developper qui a fait plus de 250 introductions de startup avec notre réseau. Notre logique est d’apporter des compétences à des boîtes pas suffisamment « staffées ».
Pourquoi la dimension « apport de compétences » est-elle si importante chez vous ?
C’est dû à notre expérience. On nous prenait pour des fous au début de Breega, on mettait beaucoup d’argent dans l’opérationnel pour nos startups, ce qui n’est pas le rôle habituel d’un fonds. Pourtant notre raisonnement était et est toujours très logique. Une startup en early stage qui lève 2 millions, c’est bien pour le compte en banque mais ça n’apporte pas de compétences donc si c’est pour faire n’importe quoi de cet argent…
Par exemple, le recrutement d’un sales BtoB, c’est très complexe pour une startup parce qu’il y a des délais incompressibles. Le temps de recherche, la période de préavis… et pendant ce temps là les clients qui ne rentrent pas. Je dis souvent « on ne fait pas un enfant en un mois avec neuf femmes». Mais comme ce sont des processus que l’on connaît, qui sont rodés, on peut accompagner très facilement les startups. D’autant qu’en phase de recherche pour une startup on va croiser des dizaines de profils, qui resteront dans notre base donc si une autre startup exprime le besoin, on sera beaucoup plus réactif pour notre portefeuille.
L’argent c’est bien mais ça ne fait pas tout ! Dans l’accélération des startups ou l’apport de compétences, il y a des choses ultra réplicables. Les fameuses best practices de la création d’une startup, mais avec le niveau d’information disponible aujourd’hui ça remet en cause certains modèles… Pourtant, quand on développe la boîte, il faut adapter l’accompagnement et être dans l’opérationnel. Chez Breega, les ressources sont disponibles mais l’entrepreneur n’a pas d’obligation. On fait du sur-mesure.
Il faut de bons entrepreneurs pour que les VCs fassent gagner de l’argent à leurs clients LPs et puissent continuer à investir et il faut de bons VCs pour que les entrepreneurs aient les moyens de se développer du mieux possible.
Avec cette vision, est-ce difficile d’envisager des co-investissements ?
Je ne sais pas si c’est mon passif de rugbyman mais je suis très “équipe“. Si la startup a un bon feeling avec un autre fonds, on ne ferme pas la porte. Au contraire, chacun apporte sa pierre à l’édifice. Maintenant, il est important que les conditions et la manière de procéder du fonds nous conviennent. Selon moi, tu construis une équipe d’actionnaires, au même titre que tu construis ton équipe dirigeante. Il te faut des personnes compétentes, motivées et saines.
À quel point la bonne relation avec l’entrepreneur est-elle importante pour un fonds ? Comment gère-t-on les difficultés ?
Dans toutes les relations d’affaires, ça marche mieux quand tout va bien. On partage tout avec nos entrepreneurs, on devient souvent amis. Cette relation de proximité se construit mais elle ne peut pas être forcée. Même si peu de VCs l’expriment, on a tous des problèmes dans notre portefeuille, des startups avec qui on n’est pas sur la même longueur d’onde. Dont acte.
C’est le genre de situation que l’on tente de gérer du mieux possible. Tout le monde se prétend aujourd’hui “entrepreneur friendly“ mais attention, pas de bullshit, ce qui compte ce sont les faits : si la personne se donne à fond et que ça ne marche pas, on ne va pas tirer à boulets rouges sur elle/lui. C’est la vie.
De manière générale, en Europe, les cas de remplacement de CEO sont rares en early stage. Même si on se trompe très tôt sur la personne, ce qui peut arriver, on vit avec et on fait évoluer l’équipe pour améliorer le staff. Peut-être que ça viendra un jour. On investit en seed et en série A donc ce sont des questions qu’on se pose peu. Puis, on a pas mal d’entrepreneurs qui nous disent que si demain ou après-demain ils ne sont plus les bonnes personnes ils laisseront d’eux-mêmes la place.
[wydden_refer_post post= »30449″][/wydden_refer_post]Quel est ton regard sur le capital-risque français actuel ?
Tout a changé. L’ensemble de l’économie parle startup. Même le président de la République parle de startup donc il y a eu une démocratisation. Avec Linkedin, tout le monde est devenu très accessible. Le cliché de l’investisseur grisonnant dans sa tour d’ivoire du 8e a changé. Le capital-risque est devenu beaucoup plus humble, il a compris qu’il n’y avait pas de succès de l’un sans l’autre. La guerre startup/investisseur n’a pas de sens puisque c’est un cercle vertueux : il faut de bons entrepreneurs pour que les VCs fassent gagner de l’argent à leurs clients LPs et puissent continuer à investir et il faut de bons VCs pour que les entrepreneurs aient les moyens de se développer du mieux possible.
Comment perçois-tu la nouvelle concurrence entre les fonds ? Penses-tu que les entrepreneurs ont quelque chose à gagner de cette concurrence ?
L’écosystème VC français doit maturer. Il n’est pas parfait mais il faut avancer. Nous avons encore du retard sur les États-Unis ou Israël par exemple. Entre les fonds, la concurrence existe, il faut donc se différencier sur les relations et la proposition que tu fais aux entrepreneurs. La vérité c’est qu’il existe plein de bonnes entreprises qui ne sont pas « VC compatible ». Notre modèle en tant que fonds c’est de financer et de faire des multiples importants à la sortie. Il y a beaucoup d’argent, peut-être plus que ce qu’il y a de projets intéressants, il ne faut pas que cela brûle les doigts car financer des projets qui ne sont pas « VC compatible » ne rend service à personne.
Là où il ne faut pas se tromper, c’est que même si les conditions des levées semblent être un peu meilleures pour les entrepreneurs avec cette concurrence, rien ne sert de l’analyser à court terme. La réalité c’est que tout l’écosystème repose sur les exits et que les corporate européens ne sont pas assez présents sur les acquisitions. Sans acquisitions des corporate, il n’y a pas de sorties, puisque la bourse européenne est très difficile d’accès et que le Nasdaq européen n’existe pas (et ça n’est pas prêt de changer avec le Brexit), donc peu de retour d’investissement pour les LPs et donc le risque qu’ils ne remettent plus d’argent. C’est une analyse intersystémique.
Il doit y avoir une sorte de « Criteo mafia », comme il y a eu une « PayPal mafia » aux États-Unis, c’est-à-dire des personnes qui ont vécu l’expérience de l’intérieur, qui ont de grosses expériences et les contacts pour relancer des business très innovants.
Aux États-Unis, les corporate sont très actifs sur les acquisitions de startups. Ils signent des gros chèques et sont aussi prêts à faire des « acqui-hire » : racheter une startup à un petit prix non pas forcément pour son service/produit mais pour bénéficier de l’expérience commune de l’équipe constituée et de son expertise sur une thématique d’avenir qui peut accélérer la montée en compétences. On n’est pas ici en présence de gros multiples pour les VCs mais ça alimente la machine et ça permet de réinvestir, mais aussi parce que cela crée des entrepreneurs avec une expérience importante. Il doit y avoir une sorte de « Criteo mafia », comme il y a eu une « PayPal mafia » aux États-Unis, c’est-à-dire des personnes qui ont vécu l’expérience de l’intérieur, qui ont de grosses expériences et les contacts pour relancer des business très innovants.
Comment peut-on faire évoluer le modèle pour qu’il s’autoalimente plus facilement ?
Il faut revoir la législation sur les acquisitions de la part des corporate pour faciliter les exits parce que c’est cela qui déterminera tout l’avenir de l’écosystème. Le modèle de VC est fondé sur l’entrée et la sortie. Depuis 4/5 ans, on met le paquet sur l’entrée, il faut maintenant penser à la suite. On a encore un peu de temps avant que les exits arrivent mais il faut créer dès maintenant le tissu adéquat pour les faciliter.
On commence à voir des acquisitions de corporate européens. Quand Nokia rachète Withings, même si ça ne finit pas comme on l’espérait. Quand SFR rachète Teads, BNP Paribas – CompteNickel ou Sodexo – FoodChéri c’est bien, en plus entre Français c’est un bon message pour l’écosystème. Après, il y a une vérité, c’est que lorsque les Américains se positionnent et demain sans doute les Chinois, il est difficile de résister aux sirènes étrangères pour les startups françaises car ils payent plus. « Incentivons » fiscalement les corporate français/européens dans leur acquisition de startups !
Ben, quel est le niveau de performance de Breega ?
On a eu des sorties très positives, comme Foodcheri, avec un TRI à 3 chiffres et on a un portefeuille de 30 startups dont un grand nombre de pépites en puissance. Mais chez Breega, on porte une attention particulière à notre performance dans l’opérationnel. Sur 12 mois, on a fait plus de 250 introductions pour du business et près de 100 recrutements pour nos startups. On ne chôme pas.
Penses-tu que le modèle des fonds d’investissement doit évoluer ?
Les fonds early stage devront évoluer vers une approche plus opérationnelle et moins financière. Et un autre point primordial reste le réseau. On le dit souvent mais c’est la raison principale de la réussite des opérations. Ensuite, il faudra adapter les process aux nouvelles technologies disponibles. Entre les mises en relation, les signatures de termsheets, les rendez-vous chez les avocats, on a beaucoup de technologie à utiliser pour faciliter le momentum.
Dans la vallée, certains font de l’investissement statistique. En early stage, on peut essayer d’outiller, le profilage, etc., mais au bout du bout il y a la condition de vouloir bosser ensemble. C’est humain, l’entrepreneur veut travailler avec des gens avec qui il se sent bien. Et vice versa !