Dans le monde des startups, il est parfois difficile de savoir ce que pensent vraiment les acteurs. Si seulement tout le monde acceptait de parler à visage découvert… Mais ce n’est pas le cas. Heureusement, il reste les « off » prononcés par les entrepreneurs ou les VCs. Heureusement ? Pas vraiment en fait, parce qu’en off il se dit tout et n’importe quoi. Souvent n’importe quoi d’ailleurs. Nous avons donc demandé à Xavier Milin, expert de la levée de fonds et auteur du livre « Lever des fonds : comprendre et maîtriser toutes les étapes», son avis sur tout ça.
« De toute façon, les VCs attendent que l’on ait plus de trésorerie pour nous tordre avec des clauses. »
D’après Xavier Milin, c’est une stratégie possible pour un investisseur mais qui est particulièrement dangereuse. Tant pour lui que pour la startup. « Des délais trop longs ne sont bons pour personne. D’un côté, la startup qui voit sa trésorerie en situation critique va tout faire pour reporter des règlements de factures, prendre des risques avec l’Urssaf, etc. C’est autant de bombes à retardement pour actionnaires et investisseurs et c’est autant de cash issu de la levée de fonds qui viendra combler un besoin actuel et non pas financer le développement de l’entreprise. »
« On va faire un bridge pour tenir jusqu’à la prochaine levée »
Si vous avez déjà levé et que vous êtes en situation de trésorerie difficile, vous allez probablement tenter de faire ce que l’on appelle un « bridge » avec les investisseurs actuels. C’est-à-dire demander une rallonge aux historiques. « Méfiez-vous car si c’est de l’argent qui peut souvent être disponible rapidement, il y a des chances que les conditions de cet investissement ne soient pas en votre faveur, » explique Xavier Milin.
Un dernier point : si la startup est dans une situation à risque au niveau de sa trésorerie pendant une période de négociation, rapprochez-vous de BPI France qui a développé des outils limitant cette exposition.
« On sait très bien, qu’en tant que fondateurs, on sera les premiers à sauter si ça tourne mal. »
Un pacte d’actionnaires bien rédigé devra remettre les choses au clair sur le sujet. D’après Xavier, si de tels cas existent, ils demeurent rares. « Avant de faire sortir un fondateur, il faudra que quelques signaux soient passés au « rouge ». Les investisseurs auront dans le cadre d’un comité stratégique remonté leurs craintes, proposé des plans d’actions… Bref, les investisseurs parient sur des fondateurs et ne sont que très rarement prêts à les faire sauter à la première insatisfaction. En tous les cas, pour avoir vu des départs d’entrepreneurs, il faut bien savoir que les raisons réelles se savent très rapidement sur la place. It’s a very small world. »
[wydden_refer_post post= »30373″][/wydden_refer_post]« En ce moment, si tu dis qu’il y a de l’IA et du machine learning dans ton produit, c’est plus simple pour lever des fonds! »
« S’il y avait des mots magiques pour lever des fonds ça se saurait… Maintenant, on rencontre comme partout des effets de mode, des tendances sur lesquelles les entrepreneurs peuvent vouloir surfer. Mais ce n’est pas que le cas des investisseurs. On peut voir par exemple des investisseurs pousser les entreprises à mettre en avant de l’IA, même s’il y en a peu ou transformer leur modèle de licence logicielle en SaaS pour valoriser rapidement et bien mieux une startup, » précise Xavier Milin.
« De toute façon, les business angels te saignent pour 300k€ »
« Si c’est le cas ou ce que vous ressentez… fuyez ! Car la relation avec les investisseurs sera un enfer à terme, » estime Xavier. Les réseaux de business angels ont tous leurs lubies. Certains sont en effet très focalisés sur la valorisation de l’entreprise et vont mettre un point d’honneur à baisser la valeur de la startup autant que possible. C’est désagréable mais si cela ne convient pas à l’entrepreneur, personne ne l’oblige à signer avec ces investisseurs.
« Si vous êtes prêts à signer et qu’une valorisation faible, dans la limite du raisonnable, ne vous dérange pas, utilisez les autres clauses du pacte pour vous protéger ou négocier des clauses de « relution » qui vous permettront de remonter votre pourcentage de parts, » conseille Xavier Milin.
« Aujourd’hui, n’importe qui lève 500k€. »
« Effectivement, il y a plus de cash disponible dans les fonds d’investissement. C’est une chance pour les « happy few » qui feront entrer ces fonds dans leur capital. Car les fonds complémentaires ne vont pas forcément démultiplier le nombre d’investissements, mais permettre aux investisseurs de suivre les startups plus longtemps en suivant les levées futures, » explique Xavier.
Le crowdfunding et le développement de certains réseaux de business angels ont permis d’augmenter la masse de financement mais s’il y a plus de cash, il y a aussi nettement plus de dossiers à financer. La sélection reste donc dure et les standards de qualité de dossiers ont augmenté.
« Puis, il faut rester mesuré car l’argent ne coule pas à flots et la suppression de l’ISF aura très certainement des impacts sur les investisseurs privés qui en « défiscalisaient » une partie, » prévient Xavier.
« Les VCs croient savoir ce qui est bon ou pas alors qu’ils n’ont pour la plupart jamais entrepris. »
Pour Xavier, « si les VCs n’ont peut-être pas tous entrepris, ils ont beaucoup investi et côtoyé de nombreux entrepreneurs et de nombreuses situations compliquées dans leurs investissements. À chacun son rôle. »
Les investisseurs sont présents dans le cadre d’un investissement qu’ils veulent rentabiliser rapidement et faire leur possible pour aider la startup à y arriver. Ainsi, s’ils donnent le cap, c’est l’entrepreneur qui tient la barre. « D’ailleurs, on voit de nombreux fonds s’entourer d’entrepreneurs de grande qualité et leur demander d’entrer dans les boards des startups. Ceci va dans le sens d’une meilleure communication entre fondateurs et investisseurs, » explique-t-il.
« De toute façon, les investisseurs divisent tous les chiffres annoncés. »
Pour Xavier Milin, ce n’est pas une vérité absolue. « Ce n’est pas un secret que de dire qu’un VC va revoir les chiffres qui lui sont présentés et les retravailler. S’il a en effet tendance à les baisser, j’en ai vu les augmenter car ils avaient en tête une stratégie différente et plus porteuse que celle des investisseurs en place. Certains identifient aussi des synergies avec deux entreprises de leurs portefeuilles, activant ainsi un bel effet de levier pour la cible. »
« Les entrepreneurs sous-estiment ce que c’est d’avoir un fonds dans son entreprise. »
« Ça, c’est très juste et ce n’est pas faute de les prévenir. L’arrivée d’un ou de plusieurs VCs au capital d’une entreprise va bousculer le fonctionnement existant. Il va falloir savoir mener par exemple un « board », c’est-à-dire la structure qui va décider de la stratégie à mettre en place, en assurer le suivi, et prendre les décisions les plus importantes pour la vie de l’entreprise, » raconte Xavier Milin.
L’entrepreneur doit comprendre comment travailler avec le fonds, comprendre ses exigences et enfin tenir l’ensemble des engagements écrits dans le pacte d’actionnaires, qui est trop souvent oublié par les entrepreneurs une heure après la signature.
« Les événements pitch en province ? En tant que VC, on y va que pour la communication. »
Pour Xavier Milin qui a entendu cela aussi, « c’est la preuve qu’il y a encore un nombrilisme parisien dans l’écosystème, malheureusement, ce qui pousse bon nombre de startups à tout faire pour venir se faire incuber à Paris. Pourtant, le dynamisme actuel de bon nombre de villes en France depuis deux ou trois ans devrait faire taire ce genre de propos. » Par ailleurs, on voit des fonds plus locaux s’intéresser de plus en plus au monde des startups.
[wydden_refer_post post= »30769″][/wydden_refer_post]« Les échecs post-levée de fonds c’est logique. Certains font n’importe quoi dans la gestion ! »
Pour Xavier Milin, « c’est assez désagréable d’entendre ce genre de phrase. Le VC est impliqué dans la gouvernance de l’entreprise. S’il y a de grosses erreurs de gestion, charge aux VC de voir la stratégie à mettre en œuvre quitte à se séparer des mauvaises personnes ou à couper des pans d’activité si besoin. » Les entrepreneurs aussi doivent prendre conscience que l’après-levée de fonds est l’étape la plus difficile et il ne faut pas hésiter à travailler en étroite relation avec les fonds pour engranger de l’expérience et des conseils précieux. Aujourd’hui, il faut aussi gagner en transparence sur les causes de ces échecs et aller au-delà des post-récits sur Medium pour s’enrichir de l’expérience.
« Il y a trop d’argent. Le capital-risque français, c’était mieux avant. »
En effet, il y a plus d’argent dans le capital-risque. D’après Xavier Milin, « c’est une chance pour les entreprises qui le méritent et quand on voit le nombre de « licornes » identifiées en France, on voit qu’il y a encore pas mal de boulot, non ? Alors s’il y a plus d’argent, profitons-en ! » Sinon, il faut créer la machine à remonter le temps et beaucoup d’investisseurs l’utiliseraient.
« Ceux que l’on voit trop dans la presse après les levées de fonds, on se pose la question de savoir s’ils travaillent vraiment sur leur startup. »
« Le partner d’un grand fonds parisien me disait il y a peu : un entrepreneur qui a levé avec nous a 3 jobs : gérer l’image de sa boîte, manager ses équipes et manager ses investisseurs, » raconte Xavier. « Tant que la présence dans la presse n’est pas dans les colonnes des faits divers, en quoi est-ce un problème si le business tourne et les objectifs sont atteints? » poursuit-il.