Les levées de fonds :
le meilleur moyen de faire parler de
sa startup dans les médias ?
par Kevin Bresson
Les levées de fonds :
le meilleur moyen de faire parler
de sa startup dans les médias ?
2,3 milliards d’euros levés par les startups françaises en 2017 pour 689 tours de financement. Soit autant de communiqués de presse de startup de 600 mots avec des chiffres qui laissent rêveur et des citations de CEO sur les ambitions et la satisfaction personnelle « de franchir un cap ». Si la plupart des acteurs s’accordent pour dire que la communication simple d’une levée de fonds n’apporte rien, elle s’est imposée comme un contenu clé et récurrent pour de nombreux médias, spécialisés ou non.
Nous avons donc tenté de comprendre pourquoi et comment la levée de fonds était-elle devenue le seul moyen de faire parler d’une startup ? Pourquoi cet indicateur n’est-il absolument pas pertinent dans l’analyse d’une startup ? Mais surtout pourquoi la levée de fonds est-elle devenue la « clic-machine » des médias économiques ?
Par Kevin Bresson
La levée de fonds, le seul moyen de faire parler de sa startup ?
Le nombre de startups explose. Entre celles qui ont un fort potentiel, celles qui vont mourir dans 3 ans et celles dont personne n’entend parler mais qui font du chiffre d’affaires, la levée de fonds est un des rares indicateurs à donner de la crédibilité. Elles « tiennent la route » et intéressent des investisseurs, tout en confirmant aussi qu’elles sont encore très loin de la rentabilité. Céline Puff Ardichvili, associée chez Look Sharp, une agence de relations presse pour startup, explique encourager les startups à communiquer sur la levée de fonds « car cela les crédibilise également pour des RP sur le plus long terme – les journalistes auront vu passer leur levée et seront plus attentifs à leur actualité à venir. Un communiqué de presse de levée de fonds est avant tout factuel, il y a des chiffres et c’est un « proofpoint » de la viabilité de la startup. Ce type d’outil est un moyen d’attirer l’attention du journaliste et en même temps de le rassurer sur son choix, à l’heure où les startups semblent pousser de partout et où les sujets autour des success stories de ces dernières intéressent particulièrement les médias.»
La levée de fonds est donc un moyen de sélection. Ou plutôt une information factuelle qui légitime le choix du journaliste de parler ou non d’une startup. Pourtant, cette information n’est pas vraiment fiable, « il y a un jeu des startups pour gonfler les levées de fonds en mêlant les prêts bancaires, les subventions de la Bpi, le crowdfunding et le crowdlending. Plus la levée est importante, plus elle est valorisable aux yeux du grand public. Cependant, il est, à mon sens, important journalistiquement de faire le distinguo entre ce qui relève de l’entrée au capital, du prêt bancaire et de la subvention pour ne citer que ces moyens de « lever de l’argent » » estime Guillaume Mollaret, journaliste indépendant pour Le Figaro et Challenges. « Je couvre ces thématiques depuis 8 ans, avant, il y avait moins d’entreprises qui communiquaient sur les levées de fonds. C’est presque aujourd’hui devenu un réflexe de leur part. La transparence est cependant rarement complète. Peu de sociétés disent réellement le montant apporté par chaque investisseur et la part de capital que représente cette levée, » poursuit-il.
La taille est importante
« Une startup qui communique sur sa levée de fonds a tout intérêt à gonfler le montant de cette levée puisque plus c’est gros, plus ça interpelle. Il y a encore 3 ans, avec 600K tu étais en première page. Aujourd’hui en dessous du million d’euros tu n’existes pas, » nous confiait récemment un entrepreneur. Il n’y a donc aucune surprise quand cet entrepreneur explique comment d’une levée de fonds de 400k€, un prêt bancaire de 150k€ et une subvention de 350k€, il est passé à une annonce officielle d’une levée d’un million d’euros, « pour avoir la couverture médiatique nécessaire et méritée après sept mois de galère ». Et si la peur du manque de reconnaissance était la cause de cette course à la plus grosse levée ? D’après Christophe Greuet, journaliste Tech au Midi Libre, « cette situation n’est pas uniquement de la faute des startups. On sait très bien que beaucoup de médias, spécialisés ou non, ne traitent les startups de province que si elles réalisent de grosses levées des fonds. C’est en partie l’héritage des médias américains comme TechCrunch qui ne traitent essentiellement que de ça. Pourtant, il y a pléthore de jeunes entreprises très prometteuses partout en France. » Loin d’être une pratique isolée, le gonflage de montant de levée de fonds a été passé au crible par Avolta Partners, un fonds d’investissement spécialisé dans la Tech, qui a créé le “bullshit gap“. C’est-à-dire l’inflation constatée entre le montant de la levée annoncé dans la presse et le montant réel en s’appuyant sur les documents juridiques des startups. En moyenne, cet écart était de 32% en 2017.
Pour Guillaume Mollaret, cette course au plus gros chiffre est un contresens total. « Je ne comprends pas. Il est aussi valorisant pour une startup d’emprunter 40 millions à la banque que de les lever en equity. Si une banque estime que l’entreprise peut rembourser une dette, c’est le signe que l’entreprise a la confiance des financeurs. Faire l’objet de convoitise de la part d’investisseurs, c’est bien, mais rester maître chez soi, il me semble que c’est bien aussi, » estime-t-il. Pourtant, même quand la startup communique sur un emprunt, les médias transforment cette information. Pas exemple, en juillet 2016, la startup Teads, fleuron de l’AdTech française, annonce un financement par de la dette de 47M€. « C’était assez drôle de voir la presse parler de levée de fonds, alors que le communiqué de presse était très précis sur le mode de financement. On se rend compte que si tu n’annonces pas de levée, on parle rarement de toi, même si tu as une boîte qui croît très vite, » racontait alors Loïc Soubeyrand, cofondateur de la startup.
« La levée de fonds est devenue un étalon de comparaison entre les startups pour le grand public. Ça n’a aucun sens. »
« La levée de fonds est devenue un étalon de comparaison entre les startups pour le grand public. Ça n’a aucun sens. »
Un contenu rapide et simple à produire pour les médias
Mais alors pourquoi les médias se passionnent-ils pour ces levées de fonds ? Pour Benoît Pelegrin, journaliste spécialisé dans la finance, « il y a deux raisons à cette présence. La première, c’est que c’est un sujet sur lequel les entreprises communiquent très facilement et donc l’information est facile à obtenir. La deuxième raison, c’est que les rédactions ont rajeuni et la nouvelle génération de journalistes a grandi avec les nouvelles technologies et les startups. Il y a donc un attrait plus naturel pour ces thématiques. »
Pour Christophe Greuet, c’est « une information toute cuite pour le journaliste. Certains trouvent plus intéressant de reprendre des communiqués de presse que de chercher l’information, soit par manque de temps, soit par choix. Pour ma part, je ne traite pas les levées de fonds inférieures à 1M€, parce qu’elles sont trop nombreuses. » De son côté, Benoit Pelegrin justifie aussi cette tendance par la difficulté d’obtenir des informations pertinentes. « On ne peut pas communiquer sur les données chiffrées puisqu’elles sont soit exagérées, soit non communiquées. Par exemple, on pourrait comparer les chiffres d’affaires des startups, en rapport avec les levées de fonds mais on ne dispose pas de ces informations. Donc on avance avec ce que l’on a, » précise-t-il.
Les startups communiquent sur leur levée de fonds, c’est donc une information qui est adressée directement par communiqué sur la boîte mail des journalistes, entre 3 et 5 mails par jour concernant des levées de fonds sur notre boîte mail 1001startups. Devons-nous pour autant diffuser les copier-coller de communiqués sans creuser l’information ?
« À titre personnel, je trouve que la levée de fonds ne signifie pas grand-chose si elle n’est pas contextualisée, explique Guillaume Mollaret. Quand je vois des titres « La startup Y lève 250k€ », je trouve ça un peu ridicule. On ne fait pas un article sur mon voisin quand il emprunte 250k€ pour acheter sa maison. En revanche, cette information peut être intéressante suivant la façon dont elle est racontée. Par exemple si l’on regarde le profil des investisseurs. Si Tim Cook participe pour moitié à la levée d’une société lozérienne créée il y a 6 mois… là, il y a, à mon sens, une histoire à raconter. Le titre n’est plus « La start-up Y lève 250k€ » mais « Le patron d’Apple investit dans une start-up lozérienne ». Sur le fond, la même entreprise a toujours levé 250k€ mais son actualité est éclairée sous un autre jour. Mon métier c’est de raconter des histoires, si des gens décident de mettre 15M€ dans une entreprise qui ne fait pas de chiffre d’affaires depuis 4 ans, je veux savoir pourquoi. L’information ne vaut que si elle est éclairée sous le jour d’un angle particulier. »
L’audience en redemande, l’écosystème aussi…
« Il ne faut pas se cacher, si l’on parle autant de levée de fonds c’est parce que les lecteurs sont réceptifs. Il y a un côté réussite dans la levée de fonds qui est incontestable, alors que ce n’est pas le cas en réalité. La photo d’un(e) entrepreneur(e), la trentaine, avec un nom de startup sexy et « lève 15 millions » en titre, c’est une machine à clics » pour Benoit Pelegrin.
Les levées de fonds passionnent les aspirants entrepreneurs qui voient en ce modèle la réussite sociale et financière mais aussi un élément de réassurance : « si lui a levé des fonds, alors je peux en faire autant! ». C’est d’ailleurs ce que confirme Sylvain, porteur de projet dans la foodtech : « Il y a un côté rassurant à se dire que les acteurs de notre marché lèvent des millions. Cela veut dire que la croissance est forte et qu’il y a la confiance des investisseurs, puis ça laisse rêveur. Quand je vois certaines boîtes qui lèvent 3 millions… donne-les moi tu verras ce que j’en fais, » confie-t-il un brin arrogant.
Loin de vouloir jouer les donneurs de leçons, puisque nous avons aussi contribué à cette escalade, nous avons choisi chez Wydden de ne pas traiter la levée de fonds depuis un communiqué de presse. Nous attachons une importance particulière à compléter ces articles par une interview sur la stratégie globale de la startup, sur le process de la levée et sur le développement de l’entreprise. Pour autant, les Hommes mentent, surtout dans notre écosystème, toutefois pas les chiffres. La présence du mot « levée de fonds » dans un titre d’article augmente de 23% son taux de clic sur Facebook et de presque 31% son nombre de partages… sans que ces évolutions soient visibles sur le nombre de lectures. Un contenu que l’on partage mais que l’on ne lit pas donc. Il apparaît aussi que le nombre de vues total de l’article ne varie pas selon la taille du contenu et le travail d’enquête fourni par le rédacteur. Comme souvent, c’est le comportement du lecteur qui influence le travail du média.
Il y a aussi un aspect sociologique à creuser. Pourquoi les contenus les plus lus par l’écosystème sont-ils ceux qui traitent de levées de fonds et d’échecs ? Annoncer sa levée de fonds est un signal très positif dans l’écosystème mais une sorte de compétition entre les entrepreneurs du numérique sur le montant des levées émerge. Concernant l’échec, on se rend compte qu’il y a un voyeurisme de l’écosystème sur certaines histoires. « Quand je vois des boîtes qui lèvent des millions et qui se plantent, ça me fait doucement rire. Je lis toujours les post mortem pour tenter de comprendre les raisons de l’échec de la startup, cependant comme on est très souvent dans une forme d’ « auto-congratulation » dégoulinante et de rejet des responsabilités, je finis par me dire que c’est bien fait pour eux, » confie Sylvain.
« C’est une information toute cuite pour le journaliste. Certains trouvent plus intéressant de reprendre des communiqués de presse que de chercher l’information, soit par manque de temps, soit par choix. »
« C’est une information toute cuite pour le journaliste. Certains trouvent plus intéressant de reprendre des communiqués de presse que de chercher l’information, soit par manque de temps, soit par choix. »
... mais cela apporte-t-il vraiment quelque chose ?
D’après Benoit Pelegrin, « la levée de fonds est devenue, à tort, un étalon de comparaison entre les entreprises pour le grand public et pour certains acteurs de l’économie. Pourtant, c’est impossible de comparer deux levées de fonds sans creuser un minimum. Une startup qui développe un outil SaaS en BtoB et lève 2 millions d’euros ou une DeepTech qui lève 2 millions d’euros, ce n’est pas comparable uniquement avec un montant. »
Mais pourquoi en faire autant ? Parce que la levée de fonds est considérée comme un « achievement » pour tout le monde. Pour l’écosystème cela prouve le dynamisme, pour les élus cela justifie leur politique d’innovation, pour les fonds cela démontre leur capacité financière et pour l’entrepreneur c’est aussi une façon de dire à sa famille qui s’inquiète « ça va aller » et à ses détracteurs : « on ne fait pas n’importe quoi, regardez on lève des millions! » Sinon on peut aussi prouver tout ça avec du chiffre d’affaires.
Informer la communauté, essayer de faire dans la transparence et communiquer sur son entreprise. L’ambition est louable mais il n’est que rarement rappelé que la levée de fonds n’est pas un aboutissement et qu’elle n’est en rien un gage de réussite. Et si nous titrions « La startup Y renforce sa position sur le marché après deux ans d’une stratégie rondement menée » ? Forcément ça donne beaucoup moins envie de cliquer •
Un “bullshit gap“ de 32%, c’est beaucoup !
Avolta Partners, un fonds d’investissement spécialisé dans la Tech, a créé le “bullshit gap“. C’est-à-dire l’inflation constatée entre le montant de la levée annoncé dans la presse et le montant réel en se fondant sur les documents juridiques des startups. En moyenne, cet écart était de 32% en 2017.
Il existe deux raisons principales à ce gap. La première, c’est la tendance des startups à communiquer sur un montant total de financement qui comprend, certes la levée de fonds mais aussi des prêts, des subventions et autres dispositifs non dilutifs. La deuxième, c’est la communication globale d’un montant pour les levées de fonds en tranches. C’est-à-dire que la startup ne reçoit en réalité qu’une partie des montants, l’autre étant indexée sur des objectifs à atteindre. Ce type d’annonce peut créer la confusion, comme pour l’annonce de l’arrêt de ChicType. Beaucoup ne comprenaient pas les raisons de l’échec d’une startup qui avait levé 4 millions d’euros moins d’un an avant. En réalité la startup n’avait levé que 2 millions d’euros, insuffisants pour atteindre ses objectifs et débloquer la deuxième tranche. Voici en détail le “bullshit gap“ par secteur.
Un “bullshit gap“ de 32%, c’est beaucoup !
Avolta Partners, un fonds d’investissement spécialisé dans la Tech, a créé le “bullshit gap“. C’est-à-dire l’inflation constatée entre le montant de la levée annoncé dans la presse et le montant réel en se fondant sur les documents juridiques des startups. En moyenne, cet écart était de 32% en 2017.
Il existe deux raisons principales à ce gap. La première, c’est la tendance des startups à communiquer sur un montant total de financement qui comprend, certes la levée de fonds mais aussi des prêts, des subventions et autres dispositifs non dilutifs. La deuxième, c’est la communication globale d’un montant pour les levées de fonds en tranches. C’est-à-dire que la startup ne reçoit en réalité qu’une partie des montants, l’autre étant indexée sur des objectifs à atteindre. Ce type d’annonce peut créer la confusion, comme pour l’annonce de l’arrêt de ChicType. Beaucoup ne comprenaient pas les raisons de l’échec d’une startup qui avait levé 4 millions d’euros moins d’un an avant. En réalité la startup n’avait levé que 2 millions d’euros, insuffisants pour atteindre ses objectifs et débloquer la deuxième tranche. Voici en détail le “bullshit gap“ par secteur.
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